Sandokai traduction francaise

Les essentiels du SANDOKAI de SEKITO et du bouddhisme zen Chan

Ici et maintenant les faits s'avèrent - Sandokai

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Le ciel et la terre fonctionnent en cycle : printemps doux, été chaud, automne frais, hiver froid et cela recommence de nouveau. Mais si le cycle des saisons tourne sans la semence, rien ne pousse. Toute herbe a sa graine, qui poussera si les sols et les conditions sont réunies à cet instant réel. 

Ce n’est pas le ciel qui fabrique chaque chose. Chaque chose possède donc sa propre nature depuis les temps sans commencement. Citation du Maître Takuan (1573-1646), La pierre et le sabre, maître du Samouraï Zen

« Ainsi » nos vérités relatives qui adviennent « ici et maintenant » n’arrivent pas par hasard mais selon des lois bien déterminées que Bouddha a découvertes puis énoncées, elles sont de deux sortes, celles relatives à nos corps: naissance, maladie, vieillesse, mort puis celles qui se rapportent à nos esprits: vivre séparé des personnes que l’on aime, vie commune avec des personnes que l’on n’aime guère.

 

La vérité des faits et les principes du bouddhisme zen - Sandokai

M. Sekito Kisen, conformément à la tradition Chan, ne traitera pas directement des nobles vérités chères au bouddha Shakyamuni mais des raisons absolues / principes*, en jap 理 RI, qui se manifestent à nos yeux à travers les réalités du moment quotidien, les faits phénoménaux / affaires* , en jap. JI, en vietnamien sự. Dans la conscience de chaque être, son affaire personnelle naît et prendra la forme d’une chose de la vie

Note: La combinaison des mots Ri et Ji forme le terme chinois  事, qui a pour sens littéral la raison, l’argumentation.   

 

Les principes du monde des phénomènes et des formes - Sandokai

 

Pour autant, l’apparition d’un fait phénoménal, en concordance avec les principes, peut elle attester d’une vérité quelconque ou uniquement d’une certaine réalité, apparaissant au cerveau témoin de l’individu  ? Ce sera la question difficile qui s’imposera à maître Eihei Dogen (1200-1252). Voir GENJO Koan, Shobogenzo, Traduit et Commenté par Taisen Deshimaru, Ed. A.Z.I. 

Tous connaissent l’histoire zen du shamon zen Linji Yixuan Gigen Rinzaï 臨済 義玄  qui rappellera à ses auditeurs: « Celui qui m’écoute ici et maintenant, c’est vraiment vous !« . Au sujet du zazen, il ajoutera:

« Vous criez zazen ! zazen ! zazen ! et vous ne voyez pas la vraie personne qui fait zazen. » Rinzaî Gigen, Linji Yixuan. »

Le traité du Sandokai, une composition de onze poèmes, fait partie des textes fondateurs du zen Chan, et plus particulièrement, du mouvement chan Caodong, en japonais école du Zen Soto, nommée aussi « le zen immédiat du Sud ». Cette école s’inscrira dans le mouvement dit du « bouddhisme du Nord – nord de l’Inde », encore baptisé Mahayana, lit. le Grand Véhicule. Le Mahayana est né cinq siècles après le bouddhisme primitif ou « bouddhisme du Sud » qui était fondé après le Nirvana du bouddha, lors du premier concile, à l’initiative de Mahakashyapa. 

Inversement aux religions théistes qui se reposent sur un Dieu créateur et ses créatures, les pensées déiformes de même que la foi théiste, il en est autrement de l’enseignement du bouddha dont le socle se repose sur les Principes Absolus (non dogmatiques), à l’origine du cycle de la vie. Cependant, l’être-né ignore tout, il naît et n’aura de cesse de tourbillonner.

Si la science énonce que quelques constantes sont à la base du fonctionnement de l’univers, le bouddha Shakyamuni observe que seuls quelques principes sont à l’origine du monde des formes phénoménales. Il y a-t-il un principe créateur ou pas ? On peut se référer au « pari » de l’astrophysicien TRINH Xuan Thuan. Quand à maître Sekito Kisen, il nous fera part de son expérience identique à celle de son renommé prédécesseur de plus d’un millénaire, le bouddha Shakyamuni.

Principes ou Lois cosmiques. Sekito Kisen reprend les principes à l’origine des cycles du cosmos : Principe de la Vacuité Originelle (jap. Shinku), Principe de l’Impermanence du monde des formes phénoménales nommé également le monde des couleurs (jap. Shiki), Principe des Interdépendances.

Constantes physiques et Principes du bouddhisme activent l’univers. Jusqu’à maintenant, on admet généralement que les constantes physiques qui font tourner notre univers sont la vitesse de la lumière, la constante de Planck, la charge élémentaire, le nombre d’Avogadro, la constante de Boltzmann …  

Quand la Vérité Absolue rencontre la Vérité Relative, les faits adviennent « Ainsi ».  Cependant les lois causales aux sources nous échapperont toujours.

Quand l’univers infini du cerveau instinctif s’allie dans une grande discrétion au cerveau phénoménal activé dans l’instant, le Vrai se réalise automatiquement, naturellement, sans conscience d’un sujet. Sous nos yeux, la rencontre des Vérités Absolue et Relative se manifeste « ainsi » dans le phénoménal comme une grande question de la vie, à tout instant. Si un Sujet pouvait être conscient du Vrai, l’Absolu serait alors observable, il ne serait alors plus absolu mais obligatoirement relatif. En effet, apparaissant aux yeux d’un sujet, l’absolu devient obligatoirement un objet relatif et singulie

 

Quand le cerveau réceptionne les messages des cinq sens, mettant « ainsi » en mouvement nos réseaux neuronaux, il s’ensuit une réalisation instantanée dans notre corps-cerveau, que nous pensons ordinaire

L’Esprit ne peut jouer au piano. Il active les mains, les yeux, de même que le cerveau du pianiste, de même que la capacité d’écoute des personnes de l’auditoire. 

Et la musique passe, elle sera secrètement transmise d’un cerveau à un autre. La sensibilité différenciant, le Moi et les Autres prendront forme dans la conscience de chacun. Qu’en est-il dans l’Esprit cosmique ? Rien ne bouge, tout demeure silencieux.

Sekito Kisen entame alors le poème 1 du Sandokai : « Esprit du grand ancêtre fondateur… L’Ouest et l’Est se communiquent en secret »

Les humains et être-nés sont embourbés dans les sens de leur esprit - Sandokai

Cependant, depuis les temps sans commencement, l’humain demeure profondément embourbé dans ses sens, la Vérité Absolue est cachée et ne peut arriver aux yeux. Ne pouvant voir cela, l’homme « ainsi biaisé », erre et fonctionne en mode de téléguidage, dans son propre monde identitaire et illusoire.

L’éveil à la rencontre de Ku, de l’infini est possible. Cependant, dans le monde ordinaire du phénoménal, l’être humain continue dans le monde relatif … « je marche, je bouge pour me déplacer à pied d’un endroit à un autre. » Il n’y a pas ni opposition ni contradiction entre ces deux mondes duales de l’Absolu et du Relatif.

Cette relation duale et non-duale sera évoquée par M. Sekito Kisen dans le poème 3 :  » Ensemble, ils se soutiennent ou ne se soutiennent pas. Se soutenant, ils se rencontrent« . Dans le dernier vers, M. Sekito Kisen fait un constat clair des esprits, le vrai, le relatif, ceux des autres et le nôtre.

Ensemble, ils se soutiennent. Ne se soutenant pas, chacun demeure sur sa position propre. Poème 3, Sandokai, Sekito Kisen.

Ce même sujet, à propos du Relatif et de l’Absolu, sera précisé un siècle plus tard par M. Tozan Ryokai* (807-869) 洞山良价dans le traité des Cinq Go-I, œuvre fondatrice du Sen Soto.

(*): M. Tozan Ryokai est successeur dans la lignée Seigen – Sekito – Yakusan – Ungan – Tozan.

En amont, outre le bouddha Shakyamuni, Sekito Kisen décrit son expérience de l’esprit, en total accord avec celui dont l’éloquence fut largement mise à l’honneur par l’empereur de Chine, qui était lui-même son scribe. Nous mentionnons ici Maître JO (374-414) 僧肇, en japonais JO hoshi, qui énoncera dans les traités de Maître JO (jap: Jolun) : « Le sage n’a pas d’Ego, aussi Tout est Ego. Le ciel, la terre ont la même racine, toutes les existences ne sont qu’un seul corps ».

Dans ses carnets, M. Sekito Kisen reviendra longuement sur les impressions laissées après la lecture des quatre célèbres traités de Maître JO ainsi que les deux lettres associées, un courrier de réponse adressé à Liu Yi Min, disciple laïc appartenant à la cour de Chine :

  • Les objets ne deviennent pas (*) – ne se transforment pas ou le temps discontinu. Le même corps ne se déplace pas d’un temps à un autre, d’un point à un autre. Héraclite dit : « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. »
  • Pas de vacuité absolue – les existences impermanentes ne sont pas seulement illusions.
  • La sagesse Hannya (jap. E) ne connaît pas – n’est pas connaissable
  • Le Nirvana n’a pas de nom – est innommable

(*) Voir l’annexe qui comprend la traduction française de ce traité ainsi que les commentaires associés de Han Shan Deqinq (1546-1623)  憨山德清, shamon zen de la dynastie des Ming.

Si pour les sciences physiques, notre univers infini ? fonctionne avec quelques constantes (vitesse de la lumière, constante de Planck, vitesse gravitationnelle, constante électrique …), le monde du phénoménal s’active et tourne, dans sa forme cyclique, en accord avec quelques principes qui permettent une potentielle rencontre entre l’Absolu et le Relatif.

Ainsi, maître Taisen Deshimaru proposera de titrer le Sandokai « Identité et Rencontre » ou encore « L’union entre l’essence et les phénomènes ».

Maître Shengyen optera pour « La réunion des deux moitiés », en anglais « Matching the two halves. »

Fréquemment, abordant la question de la pratique de la méditation zen, on se contente de croiser nos jambes dans le silence. ET … nous oublions que la posture de nos esprits peut flotter sans direction, sans gouvernail. L’esprit n’aura de cesse la poursuite de ses propres errances, à l’origine de ses actions karmiques, jusqu’au jour où chacun se cognera à finitudes, morts, destructions.

Comment faire autrement , si tenté qu’on le veuille. Comment faire pour s’entraîner au trio (Kai, Jo, E)*

*KAI / préceptes, JO / samadhi, E / sagesse hannya, action juste.

A la fin de chaque cycle phénoménal, surgira immanquablement la question  fondamentale devant notre conscience inconsciente : « Qui suis-je ? Ma vie ? » L’âme – une partie séparée du corps – ! disent beaucoup spontanément.

Quand au bouddha Shakyamuni, il constate tout naturellement, « il y a nom et forme (skt. Rupa) mais ceci ne vient à l’existence que par interdépendance« , 

il n’y a là rien de vrai, notre vraie nature est non-substantielle. Pour autant, peut-on parler de « l’inexistence » ? Le bouddhisme zen lui préfèrera « l’existence relative. » Beaucoup se cramponneront à celle-ci, ne pouvant voir l’absolu et la permanence.

Les essentiels du bouddhisme zen - La question "D'où venez vous ?"

Sanzen, Participation aux séances de méditation intensive: Lors de mes différents séjours dans des temples d’appartenance bouddhiste différentes, j’ai eu l’occasion d’assister à un entretien singulier, considérant l’attrait qu’exerce actuellement le bouddhisme auprès des populations bien hétérogènes, csp+ ou pas. Une personne est venue demander au maître de l’accepter pour un séjour de plusieurs jours, elle avait voyagé des heures durant avec des moyens de locomotion préhistoriques … Il entama un dialogue bien étrange qui prend plutôt des tournures de défiance et pour le moins, non encourageant :

– Maître : D’où venez vous ?

– R: De bien loin, j’ai voyagé longtemps, les moyens de locomotion étaient du temps de moyen-âge … On me poussait de toutes parts, bref, j’étais comme une sardine en boîte.

– Maître: Pourquoi venir de si loin pour pratiquer ? Vous avez perdu un amoureux ?

– R: Non, pas vraiment

– Maître: Vous avez sans doute perdu un proche ? Vos parents même ?

– R: Non, mes parents se portent bien

– Maître: Alors, quelle est votre motivation première ? La maladie ? Le spleen ?

– R: Non plus, je peux méditer très longtemps et travailler pour le temple. J’ai pris plusieurs jours de congé.

– Maître: Prends plutôt du temps pour toi-même. Reposes toi, Dors bien, Manges bien. Pratiques zazen si tu peux puis bien reposée, tu reviendras me voir, tu veux bien ?

Les essentiels du bouddhisme zen - L'Absolu et le Relatif ou les Mondes Duales

Pour le bouddhiste,

L’absolu ou l’univers infini ainsi que la relativité du monde phénoménal sont appelés les deux-mondes ou les Mondes Duales ou les Vérités Duales.

L’absolu est un monde infini, tant dans le temps que dans l’espace. De nos jours, le « sans limites » de l’espace est plus ou moins confirmé par la physique quantique qui observe l’expansion continuelle de l’espace-temps. Mais au temps de Bouddha (-500) ou au temps de maître JO (4ème siècle), cet énoncé s’avérait incompréhensible, provoquant, perturbant, sous la perspective du monde social et phénoménal.

De nos jours, peu de personnes l’entendent et même – si les conditions ne les obligent pas – ils ne souhaiteraient pas entrer dans cet espace Ku de la vacuité, de l’éphéméride, de l’inconnu, « même s’ils étaient fortement tirés par le bras », dit un shamon zen. Depuis toujours, nous confirmons sans conditions, nos naissances, nos existences et nous y croyons dur, au 17ème siècle, Galilée qui critiqua seulement le Géocentrisme fut condamné . Il faut dire que l’Ego humain prend un grand coup sur la tête

Que dire des énoncés de vérité de Bouddha, qui vécut dans les années -500 ? Les êtres se concentrant toujours sur le phénoménal, l’existence humaine s’avérait obligatoirement réelle. En outre, nous demeurons toujours le centre de nos pensées et di facto, le centre des préoccupations du monde, n’est-ce-pas ?

Révolutionnaire et grand observateur de soi, le Bouddha lança un grand défi en annonçant qu’en réalité le monde des phénomènes manifestés est soumis aux finitudes, les moments vécus sont instantanés, aussitôt apparus aussitôt disparus

L’audacieux Bouddha concluait, suite à son éveil, qu’il n’y a point un fil de vie représentant un moi qui évolue avec le temps, mais seulement des moments de vie qui ne durent que le temps d’un instant, du ksana, une fraction de seconde, le temps d’un battement de cils et donc la vie, telle que nous la pensons, est relative mais absolue à la fois.

L’existence humaine s’avère donc relative par rapport au temps et à l’espace, l’univers des infinis. Nous existons mais pas réellement, pas vraiment ? Une question difficile pour l’Ego – non pas l’humilité mais l’être.

En parallèle, le bouddha démontre que l’être, sous sa forme sensible, humaine ne se résume qu’à une simple agrégation des cinq sens. Par conséquent, notre nature humaine n’est ni substantielle ni intangible, tout bouge et tout est éphémère, comment l’homme saurait-il prétendre à l’infini ? Ce furent les actualités chaudes au temps des Chan.

Mais il y a-t-il quelque chose, qu’en est-il d’un Univers Absolu et Infini ? Qu’en est-il de l’esprit Bodai ? Est-il éveillé dans sa relation avec esprit-corps dans le monde purement phénoménal. Quand est-il possible de joindre l’esprit instinctif à l’esprit cosmique.

Beaucoup théorisent sur cet esprit que l’on voit comme à l’extérieur de soi, réservés et accessibles aux seuls saints, dans le bouddhisme Theravada, anciennement le Petit Véhicule. Maître JO s’interrogeait : « L’esprit de l’univers serait-il donc accessible aux seuls Arhats? les saints les plus nobles et les plus élevés ? » Qu’en est-il donc de l’homme ordinaire, le Bompu ? De cette question naquirent les célèbres traités de JO hoshi (zh. Sengzhao), continuellement publiés, copiés, discutés, retransmis depuis le 4ème siècle. Chaque génération dispose de sa version et des commentaires correspondant(*).

*NdT: Pour la traduction de ces traités ainsi que pour les commentaires, nous nous sommes appuyés sur la version du célèbre shamon Han Shan Dequing (1546-1623) 憨山德清 de la dynastie des Ming. 

C’est donc tout naturellement que ces ouvrages furent la source d’inspiration de Sekito dont l’école s’inscrit dans le mouvement de « la non-existence phénoménale ». Avec le Sandokai, M. Sekito enseigne au sujet des mondes duales du Relatif et de l’Absolu. 

Quand à M. Taisen Deshimaru, il abordera le sujet sous l’angle de la rencontre entre deux cerveaux « Il n’y a plus ni satori ni illusion. C’est l’harmonie totale entre le cerveau frontal et le cerveau intuitif. Tout devient unité. La civilisation moderne fait de l’homme un être qui a atrophié son cerveau droit et perdu l’usage de la sagesse, le seul usage de son cerveau frontal minimise infiniment ses capacités. Il se crée alors un déséquilibre grave à la source de beaucoup de maladies actuelles ». (cf. Gyoji, T.Deshimaru, Ed. AZI).

Chez Socrate, on trouvera cette célèbre phrase : « Je sais que je ne sais pas ! » Mais qui donc peut savoir qu’il ne sait pas ?

M. Eihei Dogen (1200-1252) consacrera plusieurs chapitres du Shobogenzo au sujet du temps absolu et du phénoménal manifesté :

  • Uji (il y a un temps)
  • Shoho Jisso (les dharmas sont réels)
  • Genjo Koan (le phénoménal qui apparaît sous les yeux).

« Corps et Esprit ne font qu’un. Certains disent : « Je ne veux pas voler mais c’est mon corps qui vole ! Mon esprit réalise que c’est mal, mais comme personne ne me regarde, personne ne le saura, donc je vole. Il y a dualité entre le corps et l’action », conclut maître T.Deshimaru.

Les écrits de l’écrivain A. Damasio évoquent l’univers du monde phénoménal actuel et l’intelligence artificiel.

 » Le premier corps a toujours été là, depuis l’origine. Nous le partageons avec les animaux, les végétaux ou les bactéries, tous les vivants. » C’est un corps organique qui sent d’instinct où il en est, qui transmet de façon immanente et intérieure son état, ses alertes, ses mal-être, sa santé … Il fait corps avec notre esprit, notre cerveau, nos centres du langage, il sait qu’il peut allonger sa foulée quand il court … »

A. Damasio poursuit avec le description du deuxième corps  : « Ce deuxième corps, monitoré, est un corps distancié déjà, comme tranché subtilement de l’intérieur par une lame japonaise qui sépare la chair de l’os et écarte la chair de la chair … Il est décroché de soi pour venir servir d’enveloppe ou de combinaison isotherme par-dessus le premier corps, en le drapant d’un imprimé de données … Il devient corps-objet d’observation et de vigilance … »

Mais comment faire rencontrer le Vrai-Esprit et l’Esprit du corps ? Sont-ils identiques, différents ? Avec le Sandokai, M. Sekito Kisen nous éclaire.

Les essentiels du bouddhisme zen - Un dialogue éclairant au sujet des dharmas ?

Dharmas / Tous les dharmas: Pour rappel, « les dharmas » est un terme utilisé pour désigner les remèdes ou solutions produites à partir de l’esprit en réponse à un besoin – de type darwinisme – , un problème, une forme – humaine ou non –  en situation de blocage, d’empêchement, difficulté. Les dharmas naissent à partir de cela, c’est le thème du poème 3.


Chaque porte – dharma – prend corps avec le phénoménal
Ensemble, ils se soutiennent ou ne se soutiennent pas,
Se soutenant, ils se rencontrent,
Ne se soutenant pas, chacun demeure sur sa position propre

 

Un shamon zen dit : « Les esprits sont la cause de la naissance des dharmas. » Son ami sourit et répond : « Je n’ai pas tous ces esprits et donc, je n’ai nul besoin de tous ces dharmas ! »

Les essentiels du SANDOKAI, Principe du Temps et de l'Espace

Bouddhisme Principe Doctrine

Le temps cosmique se mesure en dizaine de milliers, voire en centaine de millions d’années lumière. A l’inverse, le temps de l’humain sous sa forme apparente s’inscrit dans un temps très très très court. Selon Bouddha le temps d’une vie humaine se mesure en respirations ou en  battement de cils ou Ksanas – unité de mesure très courte, de l’ordre des millièmes de secondes. Le Ksana était un terme connu dans les textes du bouddhisme primitif.

Dans cet univers cosmique, chaque élément – qui a pris forme – assure sa fonction, avant de se décomposer en grands éléments. Par conséquent, le vent souffle, l’eau mouille, la terre est solide, le feu est chaud. Parallèlement, dans un battement de cils, les formes phénoménales – êtres et dharmas – se composent er se décomposent en des particules élémentaires du souffle (O2), du sang (H2O), des muscles, de l’énergie (calorifique) viennent à l’existence par interdépendance, agissent puis disparaissent selon les principes du Dharma, des lois bien déterminées que M. Sekito tentera de nous dévoiler dans ses poèmes.

Habitués à extrapoler à partir de nos Egos et pensées bien déterministes, sous notre regard accoutumé, il nous est très difficile de changer de perspectives, pour entrevoir ces quelques principes universels qui régissent le monde cosmique du non-forme et de la forme sensible, l’être fait de chair, d’os, d’énergie qui s’en ira se retourner  vers sa source, Ku ou la Vacuité originelle, un autre principe qui sera rappelé dans le premier poème du Sandokai. Et pourtant, M. Sekito semble insister sur cette transformation du regard pour aborder une pratique juste du zen, du zazen

 

lexique dictionnaire kanji zen

Les essentiels du SANDOKAI, Principes de l'Impermanence et de la Non-Substantialité

Le monde des arts martiaux connait bien ce principe de Vacuité : « A l’origine, tout est Ku – espace vide. »  Sous une autre forme adaptée à l’éducation des adeptes du Chan, nous connaissons cet énoncé : « Tout est pur, authentique, vacant à l’origine. »

Ku, Vacuité et Non-Substantialité. Précision de langage: Dans le langage bouddhique, Ku, souvent traduit par le Vide / la Vacuité, ne désigne pas le Néant mais la Non-Substantialité des formes, visibles et invisibles. Ainsi, notre Moi n’est que l’ombre reflétée de la lumière, elle n’est pas substantielle.

Il en est de même de l’Éveil (jap. Satori) symbolisé par le reflet de la lune dans l’eau, une quête inaccessible en accord avec le principe de l’éveil. Le terme Non-Existentiel n’indique pas que le Moi est totalement inexistant, il a sa part de Vérité. Cependant, le Moi n’a pas de substance fixe, figée dans un temps. Si je suis totalement inexistante, telle l’ombre du pin, le reflet de la lune comment les autres pourraient me voir ? Si je suis vraiment existante, pourquoi je change à tout instant ?

Ce principe de Non-Substantialité du Moi, de notre forme, le Corps-Esprit, a été signifié par Sekito dans le poème 2 du Sandokai.

La lumière originelle est pure et brillante
L’ombre des affluents s’y écoule et s’y jette
S’attacher aux phénomènes est certainement s’illusionner
Réaliser le principe est au-delà de l’éveil

Quant à M. Taisen Deshimaru, il affirma : « S’il n’y avait tant de crimes commis depuis la nuit des temps, tout serait pur et authentique. » On pourra aussi admirer sa peinture : « Le cheval du Ku chevauchant Ku, l’espace du vide, l’espace de l’air. »

 

Les essentiels du Sandokai - Le principe de la vacuité à l'origine

Principe Zen Bouddhisme de Ku, espace vide, vacuité

À l’époque, les pratiques du corps-esprit dominaient, tantôt la voie de l’immortel Lao-Tseu, tantôt la voie du guerrier, tantôt les principes de Bouddha Shakyamuni. Cependant, sous les règnes de l’impératrice Wu Zetian, le développement du bouddhisme, introduit depuis le 2ème siècle, prenait rapidement de l’essor grâce aux écrits fondamentaux nouvellement traduits par l’éminent maître Jo (jap. Jo hoshi), l’inspirateur du Sandokai et brillant disciple de Kumarajiva. Si autour de la capitale Tchang An située au Nord de l’empire, la cour et les lettrés furent impressionnés par l’esprit des textes amenés d’Inde, le zen Chan du Sud fut porté par la masse et les pratiques populaires bien ancrées dans les territoires, l’enseignement y est axé sur les pratiques quotidiennes populaires du corps (souffle, respiration, arts martiaux, travail énergétique) ainsi que sur l’entraînement de la concentration de l’esprit du corps.

Le domaine des études des sutras nouvellement amenés et traduits était le domaine très réservé des mandarins de la cour et des lettrés (copistes, administrateurs régionaux). Il faut noter que d’antan jusqu’au 20ème siècle, peu accédait à l’écriture, celle-ci demeurait fermée à 99% de la population. Avec le développement du bouddhisme, par ailleurs, les copistes qui permettaient l’enseignement par la voie des lettres se voyaient accordés un statut privilégié qui exaspérait nombres d’administrateurs de la cour, leurs droits furent retirés lors de la persécution bouddhique en 841.

Comme depuis toujours, on peut dire qu’il y a eu en Chine, deux tendances religieuses qui adressaient différemment le monde de l’esprit des lettres, celui de la cour mandarinale, les traducteurs, copistes et le monde des corps, celui des hommes ordinaires, le peuple, en prise avec les travaux des champs et les guerres de conquête vers le Sud et vers l’Ouest. La révolution religieuse et politique n’interviendra que bien plus tard, au XXème siècle. Pour le peuple d’antan, le ciel était l’horizon, la mort se résumait au culte voué aux ancêtres, ils se fiaient à leurs croyances primitives, aux rites traditionnels, aux offrandes conventionnelles du village, cela leur suffisait, naturellement on naissait, vivait puis mourut, à la maison ou en guerre. On invoquait le Dieu du Sol pour la protection de la terre, en présence de la famille seigneuriale locale, on priait les ancêtres pour la protection de la famille et des successeurs. Le peuple se comportait correctement, par peur des représailles dans leurs futures vies, tout est parfaitement logique et simple « quand le vin est tiré, il faudra le boire ! », nul besoin d’invoquer les complexes lois causales énoncées par le Bouddha Sakyamuni. De toute façon, on devra renaître pendant de nombreuses vies avant d’atteindre l’immortalité de l’esprit, la quête du taoïsme. Paradoxalement, le bouddhisme plaidait pour un non-moi, le non-temps, une existence universelle et en final, Ku, l’espace vide de l’air et de la simple respiration. De prime abord, l’esprit des deux religions était contradictoire cependant la cour régente harmonise l’ensemble en instaurant l’éducation morale, religieuse mais aussi physique autour du taoïsme et du bouddhisme à la fois, l’un ou l’autre est démarqué et promu selon les nécessités du moment, à la convenance du pouvoir administratif. De grands combats religieux n’ont pas eu lieu, comme dans le contexte de l’Occident, il n’y a pas eu ni de posture défensive ni de guerre dogmatique. Seule la venue de Bodhidharma vers le  Vème siècle a surpris quelque peu, inculquant « le retour vers le cœur de l’esprit » et la pratique du Biguan, la méditation devant le mur, ce dernier a pourtant compté une princesse de la cour comme un des adeptes de la première heure. Conventionnellement, on instaura une religion nationale ainsi qu’un maître national, à l’image de l’empereur. Le maître devait agir comme le précepteur chargé de l’éducation des personnes de la cour mais aussi des maîtres locaux, propres aux seigneuries et principautés.

Cependant, la séparation esprit et corps se faisait grandissant, les maîtres du sud, très populaires ont préféré se démarquer de l’enseignement théorique basé sur la raison et les principes, il faut dire que « parler de l’esprit » demeure d’une difficulté extrême, voire impossible. Ceci est largement confirmé par les conclusions des neuroscientifiques d’aujourd’hui :  » Les cerveaux sont obligatoirement biaisés. » Chacun avait sa propre intuition, sa propre expérience, sa propre fiction. Il était clair pour les populations agraires et les combattants que l’esprit n’est pas une affaire d’apprentissage, ni même de morale comportementale mais de fantôme, de revenant, de réincarnation après la mort. Il suffisait d’observer les vivants et les morts pour s’en convaincre.

Le bouddhisme, avec les textes traduits et avec la pratique de la concentration méditative répondait alors miraculeusement aux besoins de la cour, des lettrés, de la masse populaire. Chacun y trouvait sa demeure mais tout est du domaine secret et inexprimable, comme l’est ce que l’on nomme l’Esprit ou le Nirvana. Tout comme aujourd’hui, depuis sa récente introduction en Occident, le bouddhisme trouva ses audiences, sous la dynastie des Tang, auprès des puissants régents sur la terre, des lettrés ayant la connaissance des objets, mais conquiert également les combattants qui savent manier l’épée et le souffle. Il faut dire que tous provenaient du même espace vide …

C’était dans ce contexte des débuts que M. Sekito Kisen (700-790) 石 頭  希 遷 s’était installé dans une montagne de la région des barbares du Sud, peuplée par l’ethnie Baiyue puis a rédigé le Sandokai, inspiré par maître JO, l’un des quatre brillants disciples de Kumarajiva.

Il rédigea les poèmes de Sandokai à propos de la rencontre unique du particulier et de l’universel. M. Taisen Deshimaru avait attribué plusieurs titres à cette œuvre « Identité et Rencontre », « L’union de l’essence et des phénomènes ».

Mais de nos jours, au début des premières décennies du 21ème siècle, au temps de la robotique, de l’intelligence artificielle, des algorithmes, où en sommes-nous avec l’esprit de l’homme, l’esprit d’éveil de Bouddha Sakyamuni, l’esprit le l’arbre Bodai, le Bodai Shin ?

[1] Se référer aux annexes pour plus de précisions sur les termes et enseignements cités.


[1] Se référer aux annexes pour plus de précisions sur les termes et enseignements cités.y tr

Le plus grand défi des neurosciences consiste essentiellement à répondre à une question vertigineuse : Qu’est-ce que l’esprit ? György Buzsáki, professeur de Neurosciences à l’université de New-York.

Au temps du zen Chan, le mistral souffle et entraîne le corps de l’homme avec cette réponse : « L’eau est froide, la montagne est profonde ».

Dans son ivresse, le célèbre poète Li Bai 李 白 de l’ancienne Chine disparut en tentant de pêcher le reflet de la lune, l’une de ses compositions invoque Sen l’homme face à la montagne ? l’homme retourne à la montagne ? l’homme et la montagne ?

 

 

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Qui cherchez-vous ? Après Moi. Edward Hopper, Room in the sun.

Les essentiels du Sandokai - Une œuvre inspirée par Me Jo, 4ème siècle

Sekito Kisen (700-790) 石頭希遷 Shitou Xiqian, lit. « Tête de Pierre, Espoir du Ciel », maître Chan du 7ème siècle, nous livre son expérience de l’esprit de l’homme de la montagne dans le Sandokai, « Le contrat face à face avec l’Authentique » ou « Identité et Rencontre », ce dernier est l’un des titres choisis par M. Taisen Deshimaru, notre référent.

L’Authentique, le vrai Esprit, l’Esprit de Bouddha … sont des termes synonymes qui désignent l’Esprit, l’Universel ou encore l’Esprit Cosmique, selon le vocabulaire de la cosmologie d’antan. À l’époque, la cour mandarinale préférait, comme beaucoup, associer le mot Esprit (terme non associé au spiritisme, comme en français) au Théisme, aux scriptures amenées d’Inde depuis plusieurs siècles, aux rituels religieux locaux, voire institutionnels. De nos jours, cette dernière tendance tend à prédominer, induisant une grande confusion dans le bouddhisme comme dans le zen, il faut dire que dans la langue chinoise, le « isme » n’existe pas, on parle plutôt d’un cheminement, d’une voie à suivre, par exemple « la voie du Christ », « la voie de Lao-Tseu », et naturellement, « la voie de Bouddha – la voie de l’Éveil » . Ainsi, nous ne discutons pas du bouddhisme comme d’un propos à débattre. L’enseignement de Bouddha Shakyamuni, encore appelé le Dharma, nous livre son expérience et ses conclusions, c’est plus une étoile qui nous guide dans notre vie et dans nos actions qu’un sujet de causerie philosophique.

En ce sens, pour éviter d’être incorrectement catalogué dans les religions théistes, le zen Chan depuis sa fondation, s’est façonné plutôt comme une école en charge de l’éducation des esprits et des corps dans son quotidien, ses maîtres ont cependant quitté la maison, l’ultime attachement de tout-un-chacun … 

Comme M. Sekito l’affirme dans les premiers vers du Sandoka, le socle de l’éducation zen s’est constitué sur les conclusions, enseignements, l’éveil du Bouddha, le Dharma de Shakyamuni. 

L’éminent maître 德山宣鑒 Tokusan Senkan (782-865), l’expert du Sutra du Diamant, avait fait alors un grand voyage vers le sud pour « régler le compte de ces insolents barbares du Sud » qui prônaient « le retour vers le cœur de l’esprit« . En chemin, voulant prendre un gâteau, il fit la rencontre d’une vendeuse ambulante qui, apercevant les nombreux livres qui remplissaient son panier, l’interpella : « Vous enseignez les scriptures, aussi vous accepterez de répondre à ma question, en  échange de ce modeste gâteau? R: Je vous en prie, faites donc ! – Avec quel esprit, mangerez vous ce gâteau, l’esprit du présent, du passé, de l’avenir – qui est exactement la personne qui prend ce gâteau, est-elle venue à l’existence hier, maintenant, demain ?  » Le grand Tokusan resta coi ». Plus tard, il deviendra l’un des maîtres renommés du sud, dans la lignée de Seigen Gyoshi (660-740).

Si l’esprit est une question vertigineuse pour les philosophes et les neurosciences, dans le zen Chan, il s’avère silencieux mais ô combien présent et défiant car bien qu’innommable, indicible, impalpable, sa lumière continue d’éveiller, sans commencement sans fin. À l’inverse du matériel qui est admiré pour toutes ses couleurs, suscitant toujours l’intérêt de tous, l’authentique éclaire dans le plus grand silence, dans un non-mouvement total, et par conséquent, tous l’oublient, c’est en ceci que réside sa caractéristique principale : « Être Ignoré« , et cette ignorance débutera le cycle de transmigration karmique appelée la chaîne des 12 Nidana (opportunités causales de transmigration du karma). Pour l’être sensible, il s’ensuivra un duel d’esprits et de corps de tous les instants en haute mer, que seule 坐禪箴 Zazen Shin, l’aiguille de zazen pourra trancher dans la plus totale inconscience.

Pourtant, cet esprit oublié est la clé même de la quête de sens et d' »immortalité » – Nirvana ou Non-Né dans le lexique bouddhiste. Ainsi, M. Eihei Dogen qui amena le zen Caodong (jap. Soto zen) au Japon dit : « S’étudier soi-même c’est s’oublier soi-même. S’oublier soi-même c’est être certifié par tous les êtres. »

M. Taisen Deshimaru décrit : « Tout appartient à l’ordre cosmique et dépend de lui. Une puissance centrifuge, de rejet, développe, entraîne une puissance autonome et une forte personnalité. La puissance centripète est celle de l’union et de l’assemblage … Ces deux puissances sont indispensables et nécessaires pour les êtres humains, elles doivent être équilibrées et fortes. »

Sengzhao 僧肇, alias maître JO, avant de répondre aux questions adressées, s’exprime ainsi : « Je ne veux pas parler cependant vous souhaitez m’écouter aussi, si vous pouvez écouter sans écouter, j’accepterai de parler sans parler ».

Il-y-a-t-il donc quelqu’un qui puisse parler sans parler et un autre qui puisse écouter sans écouter ? C’est par cette petite phrase que maître JO du 4ème siècle qui, dans sa lettre adressée au dignitaire Liu Yimin, enseigne la capacité d’harmonisation du particulier et de l’universel que M. Taisen Deshimaru nomma « Identité et Rencontre ».

Conquis par la profondeur et la pertinence de son propos, très inspiré, M. Sekito Kisen a continué de développer dans l’esprit de ce prédécesseur de trois siècles. Outre sa traduction chinoise des dizaines de volumes du 維摩經 « Prajnaparamitahridaya sutra de l’esprit de la grande sagesse (jap. Maka Hannya Shingyo, vn. Bát Nhã Ba La Mật Đa Tâm Kinh), maître JO est l’auteur d’une référence essentielle, le Zhao Lun (Traité de Sengzhao). Cette œuvre comporte quatre chapitres de la plus haute importance pour l’enseignement de la voie : 1) 物不遷論Les objets ne s’inclinent pas – demeurent dans leur positions existentielles, s’y inscrivent, et ne deviennent pas quelque chose d’autre (le printemps ne devient pas l’été, le bois ne devient pas des cendres, la vie ne devient pas la mort, le phénoménal ne devient pas Bouddha – le phénoménal ne s’éveille pas 2) 不真空論 Il n’y pas d’Authentique Vacuité 3) 般若無 知論 Hannya, l’esprit de sagesse est sans conscience particulière 4) 涅 槃無名論 Le Nirvana est innommable.

À travers le titrage des œuvres, on peut notifier qu’usant du langage, M. JO préfère l’emploi des formules négatives – cela n’est pas au profit des assertions sans équivoque  Quelle en est la raison ? Nous savons qu’un âne est différent d’un cheval mais que sait-on réellement d’une vache, voire de son esprit ? Issan Reiyu (771-853), Guisan Lingyou 溈山靈祐, un maître zen Chan disait : « Dans le cas où je prendrai la forme d’une vache où sur le flanc gauche, est écrit « maître zen » et sur le flanc droit « vache Issan », comment m’appelleriez-vous ? » Certains répondent que si sa réincarnation est une vache, cela signifie qu’il avait commis de graves erreurs ! Cette ignorance n’est-elle vraiment pas très intelligente ? …

Senggzhao trouvera sa demeure dans « Le  sutra de Vimalakirti« , cet ouvrage l’éveille profondément. Beaucoup de bruits circulaient concernant sa mort survenue autour de sa trentaine, les raisons et circonstances demeureront mystérieuses, très apprécié de l’empereur qui pleura longuement sa brillance d’esprit, son éloquence inégalée cependant sa sentence fut malencontreusement prononcée.

L'Authentique, le Vrai Esprit, l'Esprit de Bouddha

NYO ainsi les femmes bavardent

À son tour, M. Sekito Kisen recherche, instruisit à propos de l’esprit et du corps, de leurs relations puis nous livrera son expérience de l’authentique et du vulgaire, si intimement mélangés dans notre for intérieur, ils s’avèrent non-distinguables et agissent souvent à notre insu, nous privant alors d’une réelle liberté.

Poème Kyoge Betsuden

L’enseignement ne vient pas de l’extérieur,
Ne construisez pas mots, lettres et paroles,
Faites face à l’esprit de l’homme,
Et réalisez immédiatement l’éveillé, le Bouddha

Bodhidharma

Selon un adage zen, l’homme qui souhaite vivre dans l’esprit de la 般若 sagesse Hannya doit agir pareillement à l’oie qui, tout en buvant le lait, filtre l’eau.

Cet adage est incompréhensible et rebute ? C’est tout à fait normal. Nous sommes des êtres phénoménaux et par conséquent, de prime abord, nous aimons et sollicitons notre ignorance, lit. non-lumière 無 明, dans le lexique du bouddhiste. L’ignorance paraît toujours gaie, colorée, elle nous nourrit. En ce sens, M. Taisen Deshimaru, émet ce warning: « Vous dites que vous êtes heureux ou malheureux, vous riez et vous pleurez mais en réalité, vous ne savez pas ce qu’est le bonheur ou malheur ! ». Maurice Béjart déclara alors : « Avant de rencontrer M. Deshimaru, je ne savais pas rire … »

Ne pouvant exposer ni leur nature propre ni leur substance, M. Sekito Kisen, comme la plupart des maîtres de son époque, aborde le thème des esprits sous l’aspect fonctionnel, plus palpable, plus apparent. Pour ce faire, il s’appuie tout d’abord sur la nature du corps, la manifestation visible de ses capacités (gesticuler, bouger, marcher …), ses sens (yeux, nez, oreille, bouche), ses quatre grands éléments constituant: terre, eau, vent, feu – incarnés respectivement par les muscles, le sang, le souffle, l’énergie  de notre corps :

Le vent souffle, le feu chauffe, l’eau humidifie, la terre est solide
Aux yeux les couleurs, aux oreilles les sons, au nez les parfums, à la langue les goûts

À noter que selon les us et coutumes du langage bouddhique, on qualifie d’authentique, ce qui est inaliénable et ne bouge pas au travers du temps et de l’espace. Parallèlement, on introduisit le terme « L’absolu », ce dernier synonyme est apparu avec le traité de L’Absolu et du Relatif, l’œuvre de DongShan LiangJe 洞山良价 en japonais Tozan Ryokai (807-869), l’un des successeurs de Sekito Kisen.

Une personne interrogea M. Joshu : « Pouvez-vous nous montrer l’esprit ? Le maître se contenta d’esquisser un pas en avant. »

En exécutant ce petit mouvement, M. Joshu démontre de la capacité de commander de l’esprit et de celle du corps de se mettre en mouvement, après réception du message. Les deux se coordonnent pour une exécution parfaite, dans l’ignorance totale du sujet, il y a eu une rencontre harmonieuse. Mais M. Joshu en connait les tenants et les aboutissants.

Ainsi, l’absolu, l’authentique esprit 真 心 , l’authentique visage avant la naissance des parents 真面目, l’authentique être humain, ne subissent pas naissances et morts, ils n’apparaissent ni ne disparaissent, ils sont existants.

À l’origine, c’est le point zéro de l’esprit無 心 l’esprit vide – mushin -., dit M. Taisen Deshimaru. Le phénoménal et l’esprit relèvent tous deux du monde de Ku, leur source commune.

La lumière de l’esprit originel est pure et brillante, l’ombre des affluents boueux s’y écoule.

Qu’est-ce-que mushin ? Être chez soi et s’allonger dans son canapé, après une dure journée de labeur ou après une compétition de boxe – inutile de penser alors à se battre ou à se défendre. 

On ne peut observer le Ku originel cependant 般若 Hannya, l’esprit de sagesse, permet le discernement de ses nombreuses formes, de ses aptitudes,  de ses capacités. M. Sekito ainsi que les maîtres du zen Chan tentent délicatement de nommer, sensibiliser, rendre visibles aux yeux de tous, les dharmas, la conscience de l’esprit 心識  le samadhi 禪定, l’esprit de zazen qui accompagne la pratique du 坐禪, ZuoChan ou Zazen, lit. Assise Zen et par abus de langage, ladite « méditation zen » mais

Si l’esprit pouvait être circonscrit dans un périmètre, il serait alors un simple objet regardé par une personne en particulier, serait-ce encore l’Esprit ?

De toute façon, le Dharma ne se trouve pas dans les mots, paroles, discours mais dans chacun, noble ou vulgaire. L’être sensible (l’homme, la plante, l’animal) n’a pas d’autre choix que de se fier à sa conscience, ses actions, ses sens. 

Chaque porte – chaque dharma – prend corps avec le phénoménal
Ensemble, ils se soutiennent ou ne se soutiennent pas,
Se soutenant, ils se rencontrent,
Ne se soutenant pas, chacun demeure sur sa position propre

Nous n’avons que cela, dit 赵州从谂 Jōshū Jūshin (778-897), maître du zen Chan de le seconde génération après 大鑒惠能 Daikan Eno (638-713) :

Q: Sur quoi pourrait-on s’appuyer et établir notre demeure ? Terre, Eau, Vent, Feu. Q: Notre forme composée de ces grands éléments est changeante, aliénable, périssable, comment cela se pourrait-il ? Joshu répond de nouveau :  « Terre, Eau, Vent, Feu. »

À l’inverse de l’Europe romaine et chrétienne entre le 5ème et 7ème siècle, les valeurs taoïstes ainsi que confucéennes, étaient moins religieuses qu’institutionnelles, sociétales, comportementales, elles constituaient le socle de l’humanisme ainsi que de l’éducation, à cet âge d’or de la culture, sous la dynastie des Tang. Au 7ème siècle, l’empire de Charlemagne intégrait dans son espace géographique le territoire germanique, la conquête vers l’Est se poursuivait. Au niveau religieux, c’était l’expansion du christianisme monothéiste qui s’interrogeait sur la nature divine et humaine de Jésus-Christ.

Quand au zen, il affirme que le Vrai Esprit est l’affaire de tous les êtres vivants et sensibles.

Note: Le mot Chan dérive du terme 禪那 chánna (en jap. zenna) qui signifie Concentration, en Pâli. La prononciation de l’idéogramme 禪 (chan) est propre au cantonnais, dialecte du sud de la Chine.

 

 

 

L'esprit ne peut pas bouger les mains, il rend le mouvement possible
Peter Hacker

Extrait 1 de Dialogue sur la pensée, l’esprit, le corps, la conscience, Peter Hacker, Ed. Agone

Richard : La chose est claire ! Avoir un esprit est comparable au fait d’avoir des aptitudes – non à celui d’avoir une maison ou une voiture. Faire quelque chose avec son esprit n’a rien à
voir avec le fait de faire quelque chose avec un marteau, mais plutôt avec le fait de réaliser quelque chose grâce à ses talents.

Alan : Tout à fait. Nous ne pensons ni ne raisonnons avec rien – si ce n’est avec un crayon à la main.

Jill : Nous faisons pourtant bien usage de notre esprit lorsque nous pensons.

Richard : Oui, mais pas comme nous utilisons nos jambes pour marcher.

Jill : Nous disons pourtant bel et bien : « Faites usage de votre esprit. »

Richard : Ce qui n’a rien à voir avec le fait de dire « Utilisez votre main gauche » mais plutôt avec « Réfléchissez ! »

Alan : Exactement. L’esprit n’est pas un organe éthéré, pas plus qu’il n’est un organe matériel. »

… L’esprit ne peut pas bouger les mains. Il rend possible le mouvement des mains. Avoir un esprit est comparable au fait d’avoir des aptitudes ..

De la nature de l’Esprit, Extrait 2 du Livre de Peter Hacker

Jill : … En un sens, tout ce que nous pensons, ressentons et faisons résulte de l’activité de notre cerveau, comme vous le dites, ne prouve pas que ce soit le cerveau qui pense et ressent, prend des décisions et agit

Frank : Pourquoi pas ? Nous percevons parce que notre cerveau forme une image interne sur la base de l’information qu’il reçoit des sens. C’est là un fait scientifique. Tout ce que vous avez à faire c’est de vous procurer n’importe quel manuel honnête de neurosciences. Nous savons que le cerveau prend des décisions avant même que nous en soyons conscients. Benjamin Libet l’a montré il y a des années de ça.

Et c’est le cerveau qui fait mouvoir nos mains, nos jambes et nous fait faire des choses. En fait, nous sommes nos cerveaux. Comme l’a déclaré le neuropsychologue Chris Frith, nous ne sommes rien de plus que le kilogramme et demi de chair qu’est notre cerveau.

Richard : Ça n’a rien d’un fait scientifique, c’est plutôt une confusion scientifique. …. 

À coup sûr, vous avez un cerveau, mais vous n’êtes pas ce que vous avez, et votre cerveau, n’a pas, à son tour, un cerveau, il en est un.

 

Sandokai, une introduction à l'Esprit par Maître Sekito Kisen (700-790)

Si pour l’esprit religieux, le paradis et l’enfer sont promis pour l’après-vie, le zen questionne plus la vie et l’existence, ainsi que les êtres qui en sont dotés. Contrairement à notre époque du 21è siècle où profit, bénéfice, bien-être sont toujours présents à l’esprit, le zen Chan nous pousse dans notre for intérieur, qu’est-ce-que mon rôle, mon utilité fonctionnelle, mon corps-esprit, dans ce contexte si montagneux, si boueux, si illusoire, avec un temps et espace impartis, pour le cosmos aussi ? Dans son corps et son esprit, que l’homme décrète a priori comme existentiels, il est appelé à se regarder outre l’ombre de celui qui est uniquement concerné par les questions relatives à sa vie incorporée dans le monde phénoménal, qui poursuit son cours cyclique, traversant vents, marées, ensoleillements. Mais comment faire ? Nous sommes toujours plongés dans nos vies, que nous croyons substantielles, la tentative d’en sortir est rarissime, la mauvaise habitude karmique de tout conserver, même à la surface de la peau, est tendance, excepté pour celui qui, ne se défendant plus, perçoit l’enneigement de la montagne mais aussi sa hauteur.

M. Taisen Deshimaru disait que le matériel ne peut être prouvé mais qui peut l’entendre ?

Certainement, l’homme qui signe son contrat face à la montagne vers laquelle il se retourne, c’est le sens de l’idéogramme sen  , morphène de Taisen, Grand Immortel dont un autre signifié est Vieux Bouddha, l’ancien éveillé – M. Thich Nhat Hanh (1926-2022) aime particulièrement évoquer l’éveillé, le Bouddha en se servant de ce terme mais l’Immortel évoque immanquablement le Tao et non l’Éveil, son emploi serait donc impropre de nos jours …

Quant à maître Sekito Kisen dit « L’espoir du ciel », il mettra l’être humain face à face avec ses esprits dans un contrat. En effet, « contrat » est l’un des signifiés de l’idéogramme chinois KAI , il se déchire à sa signature, chacun en conservera la moitié. Pour le rendre effectif à nouveau, la réunion des deux morceaux de notre esprit sera nécessaire, est-ce notre mission terrienne pour ne pas passer notre vie en vain ?

Réunir mon esprit et celui du cosmos, mon corps à celui du cosmos, c’est ici que réside le message adressé à chaque personne – un nom et une forme, un corps et un esprit, selon Bouddha Shakyamuni.

Ainsi, la lecture du Sandokai commence : « Chikudo Daisen No Shin » … L’esprit du grand immortel de la terre originelle.

 

Esprit de Bouddha, esprit du grand immortel de la terre originelle - SANDOKAI poème 1 vers 1 à 4

L’esprit du grand maître s’est transmis intimement de l’Est à l’Ouest,
Il y a des différences de personnalité
Considérant les origines humaines, il y a intelligence et idiotie
Sur la voie, il n’y a ni Nord ni Sud

Traduction Taisen Deshimaru

L’esprit du grand immortel de notre terre originelle,
L’Ouest et l’Est se coordonnent dans le plus grand secret
Considérant les origines humaines, il y a intelligence et idiotie,
La voie n’a pas d’ancêtre ni du Nord ni du Sud

           Traduction Reijo YB

Chikudo daisen no shin. Tozai mitsu ni aifusu.
Ninkon ni ridon ari. Do ni namboku no so nashi.

 

道 人 東 竺

無 根 西 土

南 有 密

北 利 相

祖 鈍 付

La lumière originelle est pure et brillante - SANDOKAI poème 2 vers 5 à 8

À l’origine, la lumière de l’esprit est pure et brillante
L’ombre des affluents boueux s’y écoule
S’attacher aux phénomènes est certainement s’illusionner
Réaliser le principe n’est toujours pas s’éveiller.

Traduction Reijo YB

Version JP Japonaise : Reigen myo ni ko kettari. Shiha an ni ruchu su. Ji o shu suru mo moto kore mayoi. Ri ni kano mo mata satori ni arazu.

契 執 枝

理 事

元 暗

是 流 皎

迷 注 潔

L'esprit à l'origine est vide et sans dualité, Sandokai par Sekito Kisen

L’Esprit deux, l’authentique vulgarité

Littéralement, le premier vers 竺 土 大 仙 心 ,  L’esprit du grand immortel de la montagne originelle signifie l’Esprit d’Éveil du Bouddha, l’Authentique  Shin Shin, le Vrai Esprit, l’Esprit à l’origine, l’Esprit Cosmique, l’Esprit du grand sage de l’Est. Initialement, Daisen 大  fut le nom d’un maître qui joua un grand rôle dans la transmission de la pratique du zen d’Inde vers la Chine, il fut l’invité d’honneur de l’empereur lors du grand congrès de la « Réception des enseignements du Bouddha » organisé en l’honneur de Kumarajiva et de sa grande équipe composée de trois mille traducteurs, dont maître JO.

Qu’est-ce que le phénoménal ? L’esprit qui avait été né par la force du karma? Ayant pris forme, cet esprit n’a de cesse de se mettre en mouvement et de bouger, empilant karma sur karma, répond le zen Chan. Même dans la posture de zazen, en prise avec les milles affaires événementielles, les pensées s’enchaînent et passent, passent, passent. Cet esprit mouvant avait été né par la force du karma, et il est difficile de l’arrêter par la volonté. Toutefois, le sujet accomplit la voie, dans son ignorance, tout au long du chemin qu’il crée en marchant, pestant, souffrant. Fondamentalement non-libre, il n’a de cesse de subir les assauts du bonheur comme du malheur, d’apparition puis de disparition à chaque respiration, il halète …

Vos pieds marchent sur la Voie, comprenez-le si vous voulez la réaliser  …

M. Sekito Kisen ne s’attardera pas sur cet esprit que nous connaissons bien et auquel nous nous sommes identifiés de tous temps sans aucun questionnement, même si le zen Chan affirme qu’il ne s’agit que d’une ombre reflétée par la lumière.

Cependant, 臨済 義玄,  M. Rinzaï Gigen (? _ 866), apercevant un homme tenir un bol, déclare : « Si vous voyez le bol, reconnaissez également l’homme qui tient le bol, son aptitude à le tenir ! « 

Un shamon zen ajoute : « Ne regardez pas seulement votre posture de zazen, reconnaissez la vraie personne qui est en posture, vous quitterez alors l’esprit vulgaire et verrez le Vrai dharma de zazen !« 

L’esprit vulgaire de chaque être sensible produit inlassablement ses fabrications: Objets de pensée et Actions phénoménales, le temps d’une pensée, le temps de vie d’un corps. C’est ce que Bouddha Shakyamuni nomme Les Fabrications et Produits de l’Esprit 造 作 (jap Zosa).

Se référant aux écrits des sutras, l’unité élémentaire de mesure du temps, à l’échelle de la respiration, serait le kṣaṇa 刹那 (vn. sát-na). Il y aurait 100-120 ksanas dans 1 seconde, autrement dit insoupçonnable et imperceptible dans notre quotidien. Mais les mesures se sont précisées avec les neurosciences, nous avons désormais une bien meilleure observation de l’impermanence que d’antan.

Selon les résultats expérimentaux connus en neurosciences, la vitesse d’une pensée est évaluée autour des 34m/s.

 

Esprit, Neurosciences, Sandokai- Extrait d'article de György Buzsáki

Contrairement à ce qu’on a longtemps supposé, notre représentation du monde n’est pas le fruit de l’empreinte que laisseraient les stimuli extérieurs sur l’activité de nos neurones. Ceux-ci sont en fait le siège d’activités spontanées construisant une représentation interne du monde, sans cesse comparée à nos actions et perceptions.

… Lorsque j’étais professeur, j’enseignais à mes étudiants comment notre cerveau perçoit le monde et contrôle le corps. Le message en substance était que lorsque nous regardons quelque chose ou que nous entendons un son, les stimuli visuels et auditifs sont convertis en signaux électriques, puis transmis au cortex sensoriel qui traite ces entrées et donne lieu à des perceptions. Pour déclencher un mouvement, les neurones du cortex moteur envoient des instructions à des neurones intermédiaires, situés dans la moelle épinière, ce qui se traduit par une contraction musculaire. Cependant, malgré la succession des grandes découvertes qui ont donné naissance, à partir des années 1960, au domaine des « neurosciences »,  j’ai régulièrement dû faire face à la difficulté d’expliquer des mécanismes qu’au fond je ne comprenais pas – comme répondre à la question  » où, exactement, dans le cerveau, a lieu l’acte de percevoir ? . »

Le plus grand défi des neurosciences consiste essentiellement à répondre à une question vertigineuse : qu’est-ce que l’esprit ?

György Buzsáki

 

Dans l'obscurité existe la lumière

Dans l’obscurité existe la lumière,
Ne voyez pas que le côté obscur
Dans la lumière existe l’obscurité,
Ne voyez pas que le côté lumineux

Traduction Taisen Deshimaru

En pleine lumière, l’obscurité existe
Suivant la lumière l’objet rencontre aussi l’ombre
Au cœur de l’ombre, existe la lumière
Suivant l’ombre l’objet rencontre aussi la lumière

Traduction Reijo YB

In bright light, darkness exists.
Following light, an object also meets shadow.
In the darkness, light exists,
Following darkness, an object also meets light

勿 當 勿 當

以 暗 以 明

明 中 暗 中

相 有 相 有

睹 明 遇 暗

Edward Hopper, Rooms by the sea
Le duel des esprits, l’esprit non-deux, Fu Ni

Dans les lois cosmiques 法 不二 , le Dharma dit que Loi de la Non-Dualité est la base, la barque qui tranche le karma. C’est ainsi que Shakyamuni au corps mortel s’est éveillé à l’esprit universel, pur et brillant à l’origine, dont la substance est 真  Shin Ku.

Littéralement, la vue duel consiste à « voir deux », voir les choses séparément. Dans le zen Chan, à l’inverse, les yeux sont enclins à voir les choses ensemble. 

C’est un principe qui nous dit de privilégier la vue des événements qui se manifestent à nos yeux – et non celle des événements qui devraient vraisemblablement arriver en concordance avec nos principes, nos calculs, nos actions initiées. Pourquoi ? Car les événements avérés sont la manifestation du Dharma, à distinguer des pensées conscientes.

Avec les conclusions des neurosciences d’aujourd’hui, nous voyons que cette vision des choses tend à diminuer les biais cognitifs auxquels nous sommes tous assujettis. Il faut croire que l’observation du Bouddha Shakyamuni qui date depuis deux millénaires était déjà bien avancée … La vue juste consiste à veiller à ne pas fabriquer une ligne de frontière déterministe qui sépare un côté de l’autre, le dessus du dessous. Ceci est totalement surréaliste.

Aussi, le maître « Tête de Pierre, L’Espoir du Ciel » nous dit que le Vrai Esprit illumine le cosmos de sa lumière et il est vain d’avoir une vue uniquement assombrie de l’existentiel …

Dans l’obscurité il y a la lumière
Ne regardez pas avec les yeux obscurs

 

Dans ces célèbres vers, M. Sekito reprend le principe fondamental du bouddhisme qui consiste à voir que toutes choses viennent à l’existence ensemble, la poule et l’oeuf, l’enfant et la mère, le rouge et le vert – la nuit ne succède pas au jour et l’obscur ne fait pas disparaître la lumière.

Il est vain de discriminer, c.à.d de voir les choses séparément car la réalité est autre, le blanc n’est que le blanc, le corps n’est que le corps, l’esprit-corps n’est que l’esprit du corps physique (skt. Nirmanakaya).

Ce principe de vision cognitive contrebalance effectivement les biais cognitifs relevés par les neurosciences – Sodai Sotai en japonais. Dans les pays asiatiques où l’école a intégré nombres de principes d’éducation du bouddhisme, les enfants sont sensibilisés très tôt à ce principe de vision non discriminante. On leur enseigne souvent que la vue duel initie l’ignorance, la principale cause qui déclenche l’enchaînement karmique des 12 Nidana 十二因緣, le cycle des opportunités de renaissance des états d’esprit. Par conséquent, si on tranche l’ignorance, on arrête la transmigration du karma …

Qu’en est-il de l’illusion et  de l’Éveil qui ont la même origine  Ku, la vacuité. Les nommer signifierait fabriquer et connaître », 造 作. Mais à l’origine, toutes choses sont vides.

Exprimant ce qui relève du domaine de l’inconcevable, de la non-fabrication de conceptil est coutumier de se référer aux expressions  不可思議 (jap. Fuka Shigi) ainsi que 是 不 心 不 是 物 是 不 佛 (jap. Fuze Shin Fuze Motsu Fuze Butsu) , qui signifient respectivement « Il n’est pas possible de le penser » , « Ce n’est pas l’esprit, ce n’est pas une chose, ce n’est pas bouddha ». Dans le Sandokai, M. Sekito Kisen composera ces lignes:

S’attacher aux phénomènes est certainement s’illusionner
Réaliser le principe n’est toujours pas s’éveiller

 

Le Chan au temps de la dynastie des Tang (618-907)

Pour sa composition, M. Sekito Kisen (700-790) s’est servi du contexte historique de l’époque. 607, on assista à l’avènement marquant des Tang (608-917) au pouvoir, ses empereurs se succèderont pendant trois siècles. Le règne connut seulement une courte interruption initiée par l’impératrice Wu Zetian qui instaura son propre clan. L’autre événement emblématique fut la révolte d’An Lu Shan qui prit place entre 755 et 763, cet événement historique opposa les empires de la Chine et de la Turquie, d’antan. Plus tard, en 841, surviendra la persécution bouddhiste pour des raisons principalement économiques, la cour de Chine déplorait que les communautés religieuses ne soient pas assujetties à l’impôt, elle fit dissoudre les monastères, ordonna le mariage, ceci à des fins de constitution des foyers fiscaux. Les besoins de l’empire augmentaient sans cesse avec les conquêtes vers l’Ouest et le Sud, territoire d’ancrage du Chan.

En raison de ces conditions guerrières qui sensibilisent chacun à l’ impermanence de l’existence, l’éducation de la concentration, de l’observation, de la pratique de la méditation assise sera plébiscitée par les combattants, en constante prise avec la mort, ainsi que le peuple des bas-fonds, autrement dit « le monde flottant ». 

L’école « samouraï zen » des guerriers de même que l’école des patriarches dite le  « Soshi zen », marqueront la zone du sud de la Chine qui comprend, outre Hong-Kong, le Yunnan, la province actuelle du Canton, le nord de l’actuel Vietnam, en chinois Yuenan

Ce fut durant les différents règnes de la célèbre impératrice Wu Zetian que le zen Chan fut réellement consacré comme religion nationale, en lieu et place du taoïsme, plusieurs maîtres furent convoqués comme précepteurs à la cour. Même si l’impératrice se ravisa et remit le taoïsme à l’honneur, toujours pour des raisons politiques, elle a réellement œuvré pour l’empire et le bouddhisme. Notamment, elle fit bâtir les fameuses grottes de Dunhuang, la caverne d’Alibaba de la Chine, qui n’a toujours pas fini d’être explorée, les équipes de chercheurs chinois et de l’Unesco continuent d’y travailler. Outre les pièces d’or et d’argent, les tributs en tous genres, on y retrouva les copies des importants écrits du bouddhisme comme du Chan, tels que les sutras attribués à Bodhidharma, le Hekigan Roku, recueil de la falaise verte d’émeraude (la bible du zen Rinzaï), le sutra du Lotus qui fut le premier texte imprimé et diffusé huit siècles avant Gutenberg. La conservation des rouleaux était excellente grâce au climat désertique de l’endroit et à la qualité exceptionnelle du papier dont la technique fut créée en 105 en Chine, ce fut l’une des quatre inventions majeures de la vieille Chine, de même que l’imprimerie.

À la cour du Nord, 神秀 Shenxiu ( ? – 706), fut déclaré comme successeur officiel de Daiman Konin, le 5ème patriarche national.Ultérieurement, grâce à l’intervention acharnée de Shenhui (jap. Kataku Jinne), l’un des disciples d’Eno qui pratiqua dans la zone géographique du Nord, le remplacement de Shenxiu (jap. Jinshu) dans l’arbre généalogique national fut ordonné officiellement. 大鑒惠能, Dajian Hui Neng (638-713) (jap. Daikan Eno), fut proclamé 6ème patriarche national,à titre posthume. Ce dernier compta de nombreux disciples successeurs dans les différentes branches dont les cinq écoles majeures: Guiyang, Linji (jap. Rinzaï), Caodong (jap. Soto), Fayan, Yunmen (jap. Unmon) – une centaine fut répertoriée. Seules les écoles Soto et Rinzaï perdurent de manière marquante jusqu’à nos jours. L’école Rinzaï a regroupé Guiyang, Fayan, Yunmen, très célèbre pour l’œuvre de son fondateur, « Le passe sans porte ».

Depuis le début du 20ème siècle, l’historien taïwanais Hu-Shi (1892-1962) a entamé de grands travaux de recherche sur cet âge d’or cependant de nombreux questionnements subsistent, les nôtres viendront les corroborer.

Recherchant cet esprit impalpable, on peut difficilement le voir ou le toucher, car il est sans forme et il est partout. Cependant, déclarant son inexistence, on est confronté à sa grande lumière qui n’a de cesse d’éclairer Sengzhao, Zhaolun, la sagesse Hannya est sans conscience particulière, 

L'historien et patriarche du sud à l'aube des schismes du zen Chan

圭峰宗密, ZongMi ou Keiho Shumitsu (780 – 841) fut le premier historien du Chan et patriarches des écoles du Chan du Sud ainsi que de l’école Huayan, en jap. Kegon. Il répertoria plus d’une centaine d’écoles qu’il classifia précisément, en fonction de leurs méthodes et enseignements qu’ils documenta en détails. Il élabora une œuvre magistrale composée de plusieurs dizaines de volumes, 禪源諸詮集都序 ZenGen Shosenshu Tojo 禪源諸詮集都序.   Malheureusement, il ne nous en reste que la préface.

Quelques siècles plus tard,  宏智正覺 M. Wanshi Shokaku (1091-1157) puis M. Eihei Dogen (1200-1252) rédigeront successivement leurs ouvrages intitulés tous deux « Le zazen shin », lit. l’aiguille de zazen. 

Selon les termes de M. Keiho Shumitsu, l’école initiée par M. Sekito Kisen fut connue comme l’école « qui ne conserve rien dans l’esprit, même l’influence d’une pointe d’aiguille ».

À la fin, la substance du phénoménal retourne à son origine, la Vacuité et continuera de faire corps avec l’esprit cosmique. 

Les quatre grands éléments retournent à leurs natures originelles,
Tel l’enfant qui retrouve sa mère

… Chaque forme de la nature s’appuie ainsi sur le dharma
A partir d’une unique racine les branches hybrident
Racine et feuilles retournent à l’origine
Le vénérable et l’homme vulgaire emploient des langages distincts

Ainsi, un jour, M. Sekito Kisen , l’Espoir du ciel, monta sur l’estrade et prononça ces paroles:

« Mon dharma a été transmis par les bouddhas, il n’est pas relatif ni à l’assiduité ni à l’obtention du samadhi, il suffit de toucher sa propre nature, l’esprit est Bouddha – est éveillé. L’esprit, le Thatagata, le phénoménal, l’illusion, la bodhi – l’éveil sont des termes différents mais leurs substance et nature première sont identiques. « 

Vous devez toucher la substance sacrée de votre esprit et quitter les vues au sujet d’une existence permanente du matériel (joken) ou d’une inexistence de l’immatériel (danken). HT Thich Thanh Tu, Histoire des 33 maîtres de l’ancienne Chine

De grands débats prirent place en présence des maîtres indiens. Parmi les invités, figurent d’éminents disciples de la logique bouddhiste créée par Dignaga au 5ème siècle, c’étaient des experts incontestés de la raison, de l’argumentation rationnel, de la conscience particulière ou universelle. N’étaient-ils pas à l’origine du zéro « 0 », chiffre essentiel à la base de l’invention de l’électronique ? Les chiffres transmis en Occident provenaient toujours de la même source, la Chine précédait alors l’Occident de nombreux siècles. Mais au temps des Tang, les sujets d’intérêt étaient autres, on préfère discuter bruyamment des principes d’éducation spirituels adressant les différentes populations: religieux, institutionnels, guerriers, paysans, bas-fonds … Il est difficile de pouvoir définir l’éducation promue par les uns et les autres, on sait qu’il y a eu de nombreux mixages, d’essais, d’emprunts d’un maître à l’autre cependant les écoles n’étaient pas querelleuses, elles échangeaient volontiers maîtres, disciples, coups de bâton, elles riaient des erreurs et illusions de l’esprit et en constituaient rarement des casus belli. Par conséquent, le Chan devint un grand terrain où expériences et âpres luttes furent menées au nom de l’esprit, du corps, de l’illusion, de la pensée …

Fallait-il se désillusionner complètement pour espérer atteindre le Nirvana ? Fallait-il interdire, bannir, voire punir le corps comme cela a été le cas dans la plupart des religions théistes ou en contrôler l’usage ? Suis-je mon corps ou suis-je mon esprit – c’est une vue dualiste et erronée. Le zen est-il religieux ou une expérience du corps et de l’esprit ? Les opinions se faisaient rage. À la mort du bouddha Shakyamuni, pour quels cieux était parti son esprit ? Cependant, le zen Chan n’est pas un apprentissage de la vie, il ne se résume pas non plus à un corps d’attribution et de rétribution karmique. Le lecteur qui n’est pas impatient trouvera dans l’annexe, une liste de questionnements auxquels les maîtres du zen Chan ont eu à répondre, par le silence, par une phrase, un cri, un coup de bâton … Aujourd’hui encore, on peut aisément observer les mêmes confusions, les mêmes états d’esprit, sur tous les continents.

Quoi qu’il en soit, le karma naît et se véhicule principalement avec l’accumulation intemporelle des habitudes, qui demeurent bien vivaces.

La transmission d’esprit à esprit (jap. I shen den shin) aussi se perpétue tout en continuant à demeurer secrètePlus tard, 宏智正覺 M. Wanshi Shokaku (1091-1157) puis M. Eihei Dogen (1200-1252) rédigeront leurs propres ouvrages qui seront tous deux intitulés « Le zazen shin », l’aiguille de zazen.

Voici l’histoire de l’aiguille, symbole emblématique de l’école Caodong qui reconnut M. Sekito comme fondateur : Dans l’ancienne Inde, une femme maître-zen conduisait son char quand elle vit un homme en train de se flageller. Choquée, elle ne put s’empêcher de s’arrêter pour le réprimander : « Quelle stupidité ! Pourquoi ne fouettez vous pas ce qui devrait l’être ? Quand le coche ne roule pas, que faut-il battre le char – le corps ou le bœuf – l’esprit ? « 

Quant à maître Taisen Deshimaru, il avait simplement préconisé le retour au Point Zéro de l’Esprit, celui qui transcende nos deux systèmes de pensée. 

La pensée et l'illusion dans le bouddhisme zen

Nous pouvons observer que les pensées ne nous appartiennent pas, mais nous sommes toujours à l’affut, tentant de les capturer puis à nous en approprier, l’état d’esprit obsessionnel, s’avère Le Commandeur de nos vies et nous métamorphose dans l’ombre si on n’y prend pas garde. Inversement, les laisser passer permet de révéler ce qui est a été voilé et caché, la lumière de l’Authentique, son action secrète. C’est avec cette phrase « Quand l’esprit ne demeure sur rien, le véritable esprit apparaît » que le 6ème patriarche s’éveilla. M. Sekito compose ces vers en guise de conseils:

Suivez la lumière, faites fi du salut et de l’illusion. Ne passez pas votre temps en vain.

Qu’est-ce que l’existence ? Qu’est-ce-que le temps ? Qu’est-ce qu’une existence vaine ? Qu’est-ce- que la conscience ? A l’époque du zen, la pensée et l’illusion sont des sujets prisés dans l’actualité bien chargée. Bodhidharma dit alors : « Si vous voyez l’illusion et qu’en plus, vous voulez l’enlever, c’est que vous y êtes plongé jusqu’au cou ! ». 

Pour sa part, instruisant sur le Chan, M. Keiho Shumitsu référença trois écoles majeures ainsi que trois principes d’éducation.

Les écoles majeures sont respectivement appelées l’école de l’existence totale, l’école de la non-existence totale, l’école de l’existence et la non-existence à la fois.

Selon cette catégorisation, l’école de M. Sekito Kisen est reconnue comme l’emblême de la non-existentialité totale – l’Esprit est Ku.

Pour saisir le sens du terme « non-existence totale » au sens de Keiho Shumisu, M. Taisen Deshimaru est le meilleur éducateur :

C’est l’objet qui ne pénètre pas dans nos yeux. La couleur, le son existent en tout lieu, pas seulement pour moi, mais chez tout le monde; et nous ne pouvons tous voir ensemble l’objet. L’objet ne pénètre pas l’organe des sens, et l’organe des sens ne pénètre pas l’objet. Chacun reste sur sa position (existentielle), comme le son, comme les relations de l’eau et la lune (l’esprit). Le contact des choses sales ne les souillera jamais; une conscience pure et sans tache, même en contact avec les souillures ne sera jamais tachée. Bien sûr, elle subira un court moment mais ensuite, elle retrouvera sa condition normale. » 

Il en est ainsi de la rencontre entre l’Authentique et le Phénoménal.

Se soutenant, ils se rencontrent. Ne se soutenant pas, chacun demeure sur sa position propre.

 

Les systèmes de pensée dans les neurosciences cognitives

Extrait de Notre Cerveau nous joue des tours, Albert Moukheiber, Ed . Allary. 

Au sujet de nos états de pensée, les neurosciences cognitives démontrent de l’existence de deux systèmes de pensée qui se communiquent. Ces systèmes sont respectivement appelés lent et rapide, si le système lent a tendance à raisonner à partir des données collectées et emmagasinés dans la mémoire – le bouddhisme parle de karma et de la conscience réservoir Alaya, le système rapide tend à réagir plus rapidement, à partir des expériences connues. Nous utilisons les deux, dans différentes conditions, selon la possession ou non des données circonstancielles, quand les données sont connues de notre corps (l’eau est chaude, la glace est froide, la lumière brille) et maîtrisées tant soit peu (je met un lainage pour lutter contre le froid, je met en veille mon portable au cinéma pour ne pas déranger) nous avons tendance à faire appel au système rapide (voir Albert Moukheiber, Notre cerveau nous joue des tours). 

Dans l’éducation du zen mais aussi du bouddhisme tibétain, la tendance est de privilégier l’expérience du corps, le système rapide, en réaction aux événements, qui s’appuierait plus sur l’Authentique ? Néanmoins, les deux systèmes se communiquent, quand un état d’expérience est convaincu, par les sens et par le raisonnement (l’eau est chaude), l’information passe dans le système rapide, elle est mémorisée. Où ? 

Mais, il apparaît que, quoi qu’il en soit, nous sommes assujettis aux biais cognitifs, le vrai est toujours au loin.

Quand nous parlons de lenteur et de rapidité, nous sommes toujours dans le relatif, la vitesse de propagation de l’influx nerveux est de 1-100 m/seconde. La vitesse de la lumière atteint 300000 km/s.

A quelle vitesse, l’esprit communique-t-il ?

Pensée, Conscience, Corps et Esprit dans la philosophie occidentale avec Peter Hacker

Extrait de Dialogue sur la pensée, l’esprit, le corps, la conscience, Peter Hacker, Ed. Agone

Jill : … Il nous faut accorder que l’esprit n’est pas une chose ou une entité de quelque nature que ce soit, qu’il n’est pas une substance, qu’elle soit matérielle ou immatérielle. Mais il en va autrement, à l’évidence, s’agissant du corps. Car, après tout, un corps est une chose physique, existant de façon continue dans l’espace et le temps, et constituée de matière.

Je possède mon corps, il est mien, et je puis en être fière, être à l’aise ou mal à l’aise avec lui. Il est évident que je suis dans une certaine relation avec lui.

Peter Strawson : … Pour que quelqu’un soit en mesure de voir quoi que ce soit, ses yeux doivent être ouverts. Et ce qui lui est visible dépend de la manière dont son corps est localisé, … À coup sûr, de tels faits empiriques expliquent pourquoi il convient de décrire un corps particulier comme se trouvant dans une relation spéciale d’un certain type – que nous appelons « être possédé par »  – avec la personne humaine à laquelle sont également attribués des états de conscience.

Jill :  Oui, c’est tout à fait vrai. Je possède mon corps. Et j’ai des droits inaliénables sur lui.

Peter Strawson : Oui, peut-être, peut-être …

 

Chaque solution prend corps dans les phénomènes - SANDOKAI poème 3

Régis par la loi d’interdépendance
Toutes les portes et objets s’interpénètrent,
Ensemble et non-ensemble, les deux se rejoignent,
Si cette rencontre ne peut se faire harmonieusement, les deux restent sur leurs positions

Traduction M. Taisen Deshimaru

Chaque porte du dharma prend corps avec le phénoménal
Ensemble, ils se soutiennent ou ne se soutiennent pas,
Se soutenant, ils se rencontrent,
Ne se soutenant pas, chacun demeure sur sa position propre

Traduction Reijo YB

Version JP JaponaiseMon mon issai nokyo. Ego te fu ego to. Eshite sarani ai wataru. Shikara zareba kurai ni yotte ju su.

不 迴

爾 而

依 更

位 相

住 涉 

Prenez gare que le principe ne devienne un événement phénoménal - Ri et Ji

Dans le traité, à plusieurs reprises, M. Sekito Kisen répètera l’emploi des idéogrammes Ji  et Ri  qui signifient respectivement Principe et Événement phénoménal, en chinois, le kanji JiRi, composé des morphènes Ji et Ri signifie « argumentation, raisonnement défensif ».

Prenez garde qu’en voulant défendre le « Principe », vous le transformiez rapidement en « Affaire Phénoménale ».

Par ailleurs, on ne saurait ignorer que les neurosciences montrent que tout cerveau tend toujours à défendre la personne qui lui prête existence. Par principe, nous avons donc toujours raison pour nous-mêmes et notre cerveau s’en trouve heureux, il s’immune ainsi, défendant sa frontière d’esprit.

Ensemble et non-ensemble, les deux se rejoignent
Si cette rencontre ne peut se faire harmonieusement, les deux restent sur leurs positions
Ne regardez pas avec les yeux obscurs

 

L'enseignement essentiel de M. Taisen Deshimaru à propos du SANDOKAI

Le véritable amour est sans dualisme, unité, seulement un. Chacun d’entre nous possède cet esprit avant sa naissance, et il continue pendant notre vie. Tout est semblable. 

L’esprit n’est pas limité au corps dans le zen. Le corps est simplement le corps. L’esprit et le corps sont cependant unité, sans dualisme. Mais le corps est le corps du Bouddha – le corps de l’éveillé. L’esprit a le sens de l’esprit de Bouddha – l’esprit de l’éveillé. Mais cette définition n’est pas limitée au corps du bouddha Shakyamuni, il est le véritable corps universel, Dharmakaya. Sans commencement, sans fin, non-né, non-mort, éternel, illimité, infini dans le temps et l’espace. Au-delà du Ku – de la vacuité -. C’est le Ku absolu qui inclue tout. Comprendre cela réellement, authentiquement du fond de son corps, c’est la véritable compréhension. Il faut comprendre tout le cosmos, comprendre Ku. Tout est inclus dans le cosmos.

Cela est l’esprit du grand sage : Dai Sen No Shin, non pas l’esprit de Shakyamuni lui-même – en particulier -, mais l’esprit de tout le cosmos, Ku.

Ce soir, j’ai entendu que mêmes les herbes, les bois
Pouvaient devenir l’esprit de Bouddha.
Je suis très heureux car j’ai un esprit.

Esshin, gardien de vache.
 

 

Sandokai Existences

Dans la clarté relative, on distingue le transparent du trouble - SANDOKAI poème 4

Forme et substance sont propres à chaque phénomène
La conscience des sons de joie et de souffrance parvient distinctement
Dans l’obscurité, paroles hautes et basses se mêlent
Dans une relative clarté, on distingue le transparent du trouble

Traduction Reijo YB

Particular shapes and substances appear
Discrete sounds of pleasure and suffering arrive
In darkness, sounds of loud words and low words mix
In relative light, one can tell the transparent from the murky

Version Japonaise Shiki moto shitsu zo o kotoni si, sho moto rakku o koto ni su. An wa jochu no koto ni kana, mei iwa seidaku no ku wo wakatsu.

Version Hán Việt : Sắc bản thù chất tượng, thanh nguyên dị lạc khổ. Ám hiệp thượng trung ngôn,minh minh thanh trược cú.

明 暗 聲 色

明 合 元 本

清 上 異 殊

濁 中 樂 質

句 言 苦 象

sandokai de Sekito Kisen, 8ème siècle, Tchan zen

SANDOKAI poème 5 - Les quatre grands éléments retournent à leur nature originelle

Les quatre grands éléments retournent à leurs natures originelles,
Tel l’enfant qui retrouve sa mère
Le feu chauffe, le vent souffle
L’eau est humide, la terre est solide

Traduction Reijo YB

The four great elements return to their own nature
Like a child returning to its mother
The fire burns, the wind blows
The water is wet, the ground is solid

Version JP JaponaiseShidai no sho onozukara fukusu, ko no sono haha o uru ga gotoshi. Hi wa nesshi, kaze wa doyo, mizu wa uruoi, chi wa kengo.

Version Hán Việt : Tứ đại tánh tự phục như tử đắc kỳ mẫu. Hỏa nhiệt phong động dao, thủy thấp địa kiên cố.

水 火 如 四

濕 熱 子 大

地 風 得 性

堅 動 其 自

固 搖 母 復

Dans la clarté relative, on distingue le transparent du trouble - SANDOKAI poème 6

Aux yeux les couleurs, aux oreilles les sons
Au nez les parfums, à la langue les goûts

Traduction Reijo YB

To the eyes, shapes. To the ears, sounds.
To the nose, smells. To the tongue, tastes.

Version Japonaise JP : Manako wa iro, mimi wa onjo, hana wa ka shita wa kan

Version Hán Việt  : Nhãn sắc nhĩ âm thanh. Tỉ hương thiệt hàm thố

鼻 眼

 香 色

 舌 耳

 鹹 音

 醋 聲

SANDOKAI poème 7 - Dans la clarté relative, on distingue le transparent du trouble -

Pour les phénomènes, il en est comme des feuilles d’un arbre
Elles sont issues d’une même racine
Le début et la fin ont la même origine
Noble ou vulgaire : à votre guise !

Traduction Taisen Deshimaru

Chaque forme de la nature s’appuie ainsi sur le dharma
A partir d’une unique racine les branches hybrident
Racine et feuilles retournent à l’origine
Le vénérable et l’homme ordinaire emploient des langages distincts

Traduction Reijo YB

Everything as such rests on the dharma. From one single root, branches hybridize. Root and leaves return to their origin. Saints and common man use different languages.

Version Japonaise JPShikamo ichi ichi no ho ni oite, ne ni yotte habunpu su. Honmatsu subekaraku shu ni kisu beshi, son pi sono go o mochiyu.

Version Hán Việt : Nhiên y nhất nhất pháp. Y căn diệp phân bố. Bản mạt tu quy tông. Tôn ty dụng kỳ ngữ

尊 本 依 然

卑 末 根 依

用 須 葉 一

其 歸 分 一

語 宗 布 法

En pleine obscurité il y a la lumière

SANDOKAI poème 8 - Dans l'obscurité existe la lumière

Dans l’obscurité existe la lumière,
Ne voyez pas que le côté obscur
Dans la lumière existe l’obscurité,
Ne voyez pas que le côté lumineux

Traduction Taisen Deshimaru

En pleine lumière, l’obscurité existe
Suivant la lumière l’objet rencontre aussi l’ombre
Au cœur de l’ombre, existe la lumière
Suivant l’ombre l’objet rencontre aussi la lumière

Traduction Reijo YB

In bright light, darkness exists.
Following light, an object also meets shadow.
In the darkness, light exists,
Following darkness, an object also meets light

Version Hán Việt: Đương minh trung hữu ám. Vật dĩ ám tương ngộ. Đương ám trung hữu minh. Vật dĩ minh tương đổ.

勿 當 勿 當

以 暗 以 明

明 中 暗 中

相 有 相 有

睹 明 遇 暗

Sandokai - La paire des contraires

SANDOKAI poème 9 - Lumière et Obscurité apparaissent comme deux opposés

Lumière et obscurité apparaissent comme des opposés
Elles dépendent l’une de l’autre comme le pas suivant dépend du pas précédant.

Traduction Reijo YB

Light and darkness appear as opposites
They depend on each other like the next step depends on the previous one

Version Hán Việt  : Minh ám các tương đối. Tỉ như tiền hậu bộ

 

比 明

如 暗

前 各

後 相

步 對

SANDOKAI poème 10 - Chaque forme a sa fonction

Chaque forme de l’univers a sa fonction propre
Son utilité est déterminée par son nom
Effets et causes s’emboîtent parfaitement
Telle la pointe de la flèche, le principe atteint sa cible

Traduction Reijo YB

Version EN anglaise : Each shape has its own function. Its usefulness is determined by its name. Effects and causes fit together perfectly. Like the tip of an arrow, the principle reach its target.

Version JP JaponaiseBan motsu onozukara ko ari, masani yo to sho to o iu beshi, jison sureba kangai gasshi, riozureba senpo sasô.

Version Hán Việt : Vạn vật tự hữu công. Đương ngôn dụng cập xứ. Sự tồn hàm cái hạp. Lý ưng tiễn phong trụ

 

當 萬

應 存 言 物

箭 函 用 自

鋒 蓋 及 有

拄 合 處 功

SANDOKAI poème 11 - Le mot doit être entendu à sa source

Usant du langage, le mot doit être entendu à sa source
Ne pas établir ses propres règles,
Vos pieds marchent sur la Voie
Comprenez-le si vous voulez la réaliser.

Traduction Reijo YB

Version EN anglaise :

Using language, words must be heard at their source,
Do not set your own rules,
Your feet are on the way,
Understand this if you want to get it accomplished

Version JP Japonaise : Koto o ukete wa subekaraku shu o esubeshi, mizukara kiku o rissuru, koto nakare.

Version Hán Việt :Thừa ngôn tu hội tông Vật tự lập quy củ . Xúc mục bất hội đạo, Vận túc yên phi lộ

運 觸 勿 承

足 目 自 言 

焉 不 立 須

知 會 規 會

路 道 矩 宗

SANDOKAI poème 12 - Le mot doit être entendu à sa source

En avançant dans l’instant même, il n’y a ni proche ni lointain
Sous le regard de l’illusion, la distance est aussi grande que celle qui sépare la rivière de la montagne
Alors, je dis à ceux qui cherchent le chemin,
S’ill vous plaît, ne perdez pas le moment présent

Traduction Taisen Deshimaru

 

En avançant, le pas ne connaît ni proche ni lointain
La moindre illusion éloigne d’une distance infinie
Alors je m’adresse respectueusement à vous, mystérieux homme-sphinx
La lumière brille partout, qu’importe illusion et salut

Traduction Reijo YB

While moving forward, the step does not know about near or far
Faintest delusion separates by an infinite distance
So, I respectfully tell you, mysterious sphinx-man
The light shines everywhere, regardless of illusion and salvation

Version JP Japonaise : Sokumoku do o esezunba, ashi hakobu mo izukunzo michi o shiran. Ayumi o susumureba gonnon no arazu, mayote senga no ko o heda.

Version Hán Việt Tiến bộ phi cận viễn . Mê cách sơn hà cố . Cẩn bạch tham huyền nhân. Quang âm mạc hư độ

光 謹 迷 進

陰 白 隔 步 

莫 參 山 非

虛 玄 河 近

度 人 固 遠

Texte Original du Sandokai en Chinois avec les kanji - Sekito Kisen, 8è siècle

道 人 東 竺

無 根 西 土

南 有 密 大

北 利 相 仙

祖 鈍 付 心

契 執 枝 靈

理 事 派 源

亦 元 暗 明

非 是 流 皎

悟 迷 注 潔

不 迴 迴 門

爾 而 互 門

依 更 不 一

位 相 迴 切

住 涉 互 境

明 暗 聲 色

明 合 元 本

清 上 異 殊

濁 中 樂 質

句 言 苦 象

水 火 如 四

濕 熱 子 大

地 風 得 性

堅 動 其 自

固 搖 母 復

鼻 眼

 香 色

 舌 耳

 鹹 音

 醋 聲

尊 本 依 然

卑 末 根 依

用 須 葉 一

其 歸 分 一

語 宗 布 法

勿 當 勿 當

以 暗 以 明

明 中 暗 中

相 有 相 有

睹 明 遇 暗

比 明

 如 暗

 前 各

 後 相

步 對

理 事 當 萬

應 存 言 物

箭 函 用 自

鋒 蓋 及 有

拄 合 處 功

運 觸 勿 承

足 目 自 言 

焉 不 立 須

知 會 規 會

路 道 矩 宗

光 謹 迷 進

陰 白 隔 步 

莫 參 山 非

虛 玄 河 近

度 人 固 遠