Sandokai de Sekito Kisen - Bouddhisme Zen

8 – SANDOKAI de Sekito Kisen B – Avant-Propos Oeuvre

Découvrir le Sandokai par Sekito Kisen - Un fondamental du bouddhisme Zen Soto

Au fur et à mesure de la finalisation du livre, il m’est arrivé d’échanger avec nombres de groupes de bouddhistes asiatiques et de groupes dits du zen occidental, il apparait clairement qu’idées, orgueils et préjugés obstruent depuis toujours, à l’Est comme à l’Ouest, au Sud et au Nord, chez les autres et chez moi-même. On se prononce toujours légèrement, tout en s’appuyant sur un esprit duel sans une vraie conscience, sans une participation réelle de ce qu’on pourrait appeler le Vrai Moi. Dans une vie phénoménale, on suit toujours l’ombre des temps immémoriaux, sans commencement. « S‘attacher aux phénomènes est cause d’illusion », dit le Sandokai. L‘Occident vindicatif, issu des mouvements des années 68 puis des années 80, est ravi de pouvoir saisir un nouveau sujet chaud de débat. Ce sujet s’avère attirant à bien des égards car il présente un aspect de l’Esprit et non un Esprit Religieux. Parler de l’Esprit est tout sauf « dirigé vers l’extérieur phénoménal », tel que Bodhidharma, le fondateur du zen Chan l’a énoncé au 6ème siècle. L’Esprit est un sujet respectueux que tous connaissent car bien sûr, tous avaient un esprit et savaient de quoi il s’agissait. Nul besoin d’aller au-delà … (attention ! j’ironise ). A l’inverse, certains groupes asiatiques se sont révélés très religieux, vénérant et adorant un dieu bouddha  – pourtant homme – figuratif dans l’esprit, en effet, plongés dans toutes les difficultés induites par les guerres incessantes menées sur plusieurs fronts, politique, économique, conquête territoriale, pouvoir se reposer sur un bouddha se révèle une nécessité et pourtant « S’attacher au principe n’est toujours pas s’éveiller », dit le SandokaiDans les deux cas cités, il s’avère que nous nous confrontons toujours aux questions de production de l’esprit, de postures d’idées, d’esprit voilé. 

À ces questions, la réponse a toujours été de « se retourner vers l’intérieur » mais l’esprit de l’homme tend toujours vers le monde coloré. Le monde de l’esprit vide et creux est difficile à appréhender, nos esprits sont paresseux aussi l’âne continuera de regarder le puits, tout en vivant dans le pré. L’âne perd–il son temps à regarder ? Chacun en décidera.

À l’inverse du méditant actuel, laïc ou bouddhiste ou spirituel qui pense souvent « bien connaître l’esprit » –  lol:) , il en a un ! -, à l’époque de M. Sekito Kisen, interrogé sur le sujet de « Qu’est-ce que l’esprit ? », un shamon de l’école du sable répondit : 

« L’eau est froide, la montagne est profonde ».

Comment un disciple de la Voie du zen pourrait-il cheminer dans la vie avec une telle réponse ? C’était le challenge des maîtres, shamon éducateurs ainsi que des centaines d’écoles, issues du Soshi zen, Samouraï zen, Nyorai zen, créées à cette époque dite d’âge d’or du zen, sous la dynastie des Tang (618-907). Les frontières géographiques actuelles et celles de l’époque n’ont pas tellement changé et l’esprit du grand magicien ancêtre continue son chemin de transmission éclair, d’Est en Ouest, du Sud au Nord, il prend l’avion ou pas. 

Mais que véhicule-t-on d’esprit phénoménal à esprit phénoménal, d’esprit phénoménal au Vrai Esprit, du Vrai Esprit aux esprits phénoménaux ? Le Sandokai nous donne ses « breaking news ».

On peut parcourir les 44 vers de ce poème du zen Chan très rapidement, en une journée ou moins ou y passer des années. 

M. Sekito Kisen, tel le doigt qui, montrant la lune, désigne l’Esprit sous son aspect symbolique, la lumière qui n’a de cesse d’éclairer. 

M. Sekito Kisen n’oublie pas la perspective fonctionnelle des Esprits Relatif et Absolu, dont chaque corps phénoménal est habité.

M. Sekito Kisen dira également que l’Esprit peut se contracter dans une pointe d’aiguille mais aussi embrasser l’univers quand il est en expansion. À chacun de réaliser la Voie sur laquelle il marche, qu’il le veuille ou non, qu’il connaisse ou pas. Comme il s’agit de la montagne profonde, l’esprit demeure secret, intime mais immuable, traversant nos vies et nos morts. 

Nous devons cependant prendre garde aux objets qui occupent constamment l’Esprit, même nos idées à propos de l’Esprit ! Voulant découvrir l’Esprit, nous avons tendance à le réduire à une aiguille ou à un quelconque objet manufacturé dans notre cerveau transformé en usine.

L’Esprit réduit à un objet de la pensée – de surcroît la pensée d’une personne – pourrait-il s’avérer Esprit ? 

Pour aider le lecteur occidental non familier avec la structuration imagée de l’écriture non phonétique de la Chine, un précis de terminologie est proposé, avec son codage visuel. En addition,  des histoires zen, des mondo – séance de question-réponse -, des appels aux neuro-scientifiques comme aux philosophes de tous horizons ont été ajoutés, en tant que facilitateurs. On espère ainsi réduire ainsi l’écart de transmission à travers les différentes langues qui ont servi à véhiculer ces enseignements Chan. Cependant on pourrait dire que c’est pire que de lire du rabelaisien !

Le sujet du Sandokai 參同  a été suggéré par Philippe Reiryu Coupey dont les enseignements sur la pratique de Zazen, les poèmes de Sokei Daichi ainsi que sur le Shin Jin Mei de Kanchi Sosan et Fu-Ni  – la non-dualité – ont contribué à l’inspiration de cet ouvrage, qu’il en soit particulièrement remercié. Par ailleurs nous lui devons, ainsi qu’à Hugues Yusen Naas, les versions traduites et commentées de M.Taisen Deshimaru (1914-1982) 弟子丸 泰仙, litt. le très grand sage de la montagne, ou encore le très grand bouddha, Taisen (ce fut également le surnom de M. Taisen Deshimaru )

Outre M. Taisen Deshimaru et M. Sokei Daichi, du 13è siècle qui sont les référents de cette compilation, le développement de ce recueil d’enseignements s’est intensivement basé sur les enseignements du shamon HT TTPhuong, maître de l’école Chan nommée Trúc Lâm du Vietnam, lit. forêt de bambous. La force de ses écrits et prêches m’a encouragée à aller un peu plus de l’avant, ses enseignements, visibles et invisibles, m’ont particulièrement éclairée et accompagnée dans mon brouillard ordinaire.
 
Pour la collecte des textes à compiler, cela a été assez simple car nombres de traces écrites et enseignements sont laissés par les écrits bouddhiques du temps des Chan, jusqu’à nos jours. La richesse des textes sino-vietnamiens de l’école chan TRUC LAM ainsi que les enseignements oraux reçus constituent ma source précieuse d’énergie, avec la pratique quotidienne de zazen. 
 
On notera que M. Taisen Deshimaru, a intitulé sa traduction française « Identité et Rencontre » tandis que j’ai opté pour « Contrat avec l’esprit oublié » 
 
On notera que le mot Kai , du titre San Do Kai, pourrait désigner un accord que d’antan, les contractuels déchiraient en deux, chacun conservait la moitié comme une preuve tangible du traité signé. 

M. Sekito Kisen mentionnerait alors un contrat intime signé Entre mon Vrai Esprit et mon Esprit Phénoménal et donc relatif, du quotidien ? Il y aurait alors Identitié et Rencontre …
Tout au long de cet ouvrage construit sur le socle des adages de références du zen, j’ai rappelé au mieux le contexte historique du quotidien de maître Sekito Kisen (700-790), 石頭希遷litt. Tête de Pierre Espoir du Ciel, qui vécut dans le territoire du Sud de la Chine, berceau du zen Chan peuplé d’antan par les ethnies Viet – et non Han, majoritaire dans l’empire -, ce qui a valu à Daikan Eno 大鑒惠能 (638-713) (zh. Huineng) la fameuse question d’entrée de Daiman Konin 弘忍 (601-674) (zh. Hongren), 5è patriarche du zen Chan: « Qu’est-ce qu’un barbare de Lingnan, du Sud pourrait-il entendre au zen ?« . 

En parallèle aux aphorismes zen, nous nous sommes appuyés sur les travaux de Keiho Shumitsu 圭峰宗密 (780-841) (zh. Kuei-Feng Tsong-Mi), premier historien d’envergure de l’époque Tang et patriarche dans les lignées bouddhiques du zen du Sud Heze et Kegon. Le maître a rédigé une œuvre magistrale intitulée Zengen Shozenshu 禅源諸詮集, litt. « Les origines du zen » , cette dernière comporte une centaine de volumes dont il ne nous reste, malheureusement que la préface 禅源諸詮集都序Zengen Shozenshu Tojo, elle s’avère cependant suffisante dans le cadre de cet écrit.
 
Dans un souci d’actualisation, de modernisation des écrits, de correspondance avec notre 21è siècle, il nous a paru indispensable d’invoquer le regard ainsi que les conclusions – ô combien pertinentes ! – de neuroscientifiques tels qu’Albert Moukheiber, éminent conférencier et auteur de l’ouvrage « Le cerveau nous joue des tours », Collection J’ai Lu ou Peter Hacker, auteur de « Dialogue sur la pensée, l’esprit, le corps, la conscience« , Ed. Agone. Les extraits et citations de ces ouvrages servent de base aux réflexions et conclusions des neurosciences sur l’esprit, le corps, leurs fonctionnements, ils nous aident à positionner le débat des sciences du cerveau face à la spiritualité, quand cela s’avère pertinen
Métal Bois du temple de Sekito Kisen

Sandokai ou la Sagesse est Sans Connaissance

Dans le Sandokai, M. Sekito Kisen reprend les thèmes traités par Sojo (zh. Sengzhao) dans ses différents traités. Le sujet du troisième traité : « La sagesse est sans connaissance » ainsi que la correspondance avec Liu Yimin, disciple de la sangha du Kegon lui ont servi de base, tel que M. Deshimaru l’a signifié. Cette phrase « Le sage est sans connaissance aussi il n’ignore rien » constitue le socle de l’enseignement donné par M. Sekito Kisen, dans le Sandokai.

En effet, M. Sekito, comme le fit son prédécesseur Sengzhao, interroge à propos de la nature et substance de l’esprit Hannya d’un éventuel sage. Si tenté que le sage soit doté d’un tel esprit, serait-t-il distinct de l’esprit ordinaire ? Et de prime abord, il y aurait des êtres sages qui se distingueraient des êtres ordinaires, dans la pure et authentique vacuité ? En quoi cela consiste-t-il ? Il y a-t-il là une substance notable ? 

En parallèle de son traité sur Le Sage et l’Esprit Hannya, M. Sekito proposera son enseignement aux sujets du temps, de l’espace, de la fonction des êtres manifestés – corps et forme – dans ce contexte sans nature propre et sans substance palpable. Il propose sa réponse aux traités de Sengzhao, aux enseignements de Vasubandhu qui avait initié la grande compilation du Maka Hannya Shingyo.

Les impossibles Fuka Toku Fuka Setsu

Dans le sutra Maka Hannya Shingyo qui est le chant emblématique de toutes les écoles du zen, on trouve toujours les négations telles que Fu Ka 不可  – pas de possibilité, pas de capacité.  Contrairement à l’occidental qui procède généralement par assertion, l’oriental s’exprime par la négation car il est impossible de connaître la nature propre et unique d’une chose. On ne saurait énumérer de façon exhaustive les qualités d’une chose – Dignaga (480-540), maître indien de la logique, énonce qu’on ne sait pas ce qu’est exactement un cheval, on peut seulement le différencier de l’âne. 

Il a interrogé en profondeur à propos des sources de la connaissance, d’où connait-on quelque chose ? C’est aussi un des sujets traités par les neurosciences cognitives d’aujourd’hui.

M. Sekito déroge ici à cette règle en nommant et qualifiant l’esprit originel vers lequel les disciples devraient revenir afin de réaliser la voie du bouddha.

Sekito Kisen détermine ici le code de la loi du Dharma – terme de M. Deshimaru – en ce sens que M.Sekito Kisen y transcrit l’accord entre l’être phénoménal et son être éveillé – sa propre nature substantielle, le corps et l’esprit d’éveil dits Du Bouddha, non figuratif, non né et conceptualisé – une non production de l’esprit. M. Sekito enseigne : « Vos pieds marchent sur la Voie, comprenez le si vous voulez la réaliser ».

Le maître nous décrypte ici le principe des lois du Dharma, du karma phénoménal mais également les réalités de l’instant absolu où se réunissent les conditions de manifestation du matériel.

A l’image des neurosciences d’aujourd’hui et des présocratiques grecs, les poèmes du Sandokai de Sekito Kisen (700-790) 石頭希遷 affirment tout en interrogeant, sur l’identité du je-moi – et non de l’ego -, la nature de l’esprit, la substance humaine :  » Je suis. Mais qu’est-ce qu’un je-moi, qu’est-ce que mon esprit, qu’est-ce que mon cerveau, mon corps et où se trouveraient-ils ? »  Vieux comme le monde, ces questionnements trouveront de subtils éclairages auprès du Nyorai zen comme du Soshi zen (cf. Annexe Les schismes au temps du zen Chan) respectivement le zen de Shakyamuni et le zen des patriarches du Chan. En parallèle et filigrane, on exposera les questions et retours d’expérience des neuroscientifiques dont les travaux sur l’esprit, la cognition, le cérébral nous ont fait avancé depuis quelques décennies.

 

Nos sources de connaissance dans le Zen Chan

Qu’est-ce-qui pourrait exister dans le Shin Ku, litt. authentique vacuité originelle et comment y retourner avec notre cerveau, toujours empli d’illusions, de préjugés, d’idées clouées et pré-implantées dans le cerveau, fut le questionnement des Chan, à l’échelle de la cour du Nord, des guerriers et paysans du Sud, de la population des bas-fonds de l’époque.

 
Qu’enseignaient les maîtres si honorés de l’empire de Chine déjà dominé culturellement, depuis plusieurs siècles, par Confucius, Lao-Tseu et ses règles comportementales si codifiées, considérant la loyauté, la vie sociétale, les conquêtes sans fin dans le temps des guerres ?
Considérant Shin Ku, Daikan Eno, le 6ème patriarche use, abuse encore et toujours de la même question, au début et tout au long des séjours des disciples : « D’où venez vous ? »
Pour l’essentiel, nous irons dans les temps marquant du zen et du bouddhisme : l’Éveil de Shakyamuni vers le 5ème siècle avant J-C., la Vacuité et la Logique de Nagarjuna au 4ème siècle, les Pratiques du corps-esprit comme solutions en correspondance avec les problématiques perplexes induites par Shin Ku, la vacuité originelle, la Non-existence substantielle de matière et forme Mu . L’existence matérielle et relative de la forme qui apparaît au temps présent et par interdépendance est U  – l’alter ego de Mu.
 
Alors comment agir, gouverner, exister et en définitif vivre, tel un bouddha, dans ShinNyo, l’Authentique Ainsité 真如 UInversement, avec l’Ainsité prônée par Sekito, ne sommes nous pas dans une forme d’existence figurative et utopique, seulement implantée dans le cerveau, tel un clou qui s’accrocherait aux nuages de la vacuité ? 

Les neurosciences cognitives d’aujourd’hui s’enlisent également dans les biais cognitifs qui emprisonnent l’esprit dans le subjectif inconscient. Mais l’être n’est-il pas toujours singulier ?

Note: Savez-vous que presque 100% de nos pensées, actions sont inconscientes ? Cette conclusion démontre de la force du karma, des mauvaises habitudes accumulées depuis des temps sans commencement. « Sans l’existence de tous ces crimes, l’univers serait d’une pureté cristalline » , disait M. Deshimaru.
Le bouddhisme dit Mu Sho Toku 無所得  – pas d’obtention propre – personnelle – et  Shin Fuka Toku 心不可 得 – impossibilité d’atteindre l’esprit – ! 
 
Les maîtres Chan disent aussi Fuka Setsu  不 可 說 – impossibilité de discourir !
 

Taisen Deshimaru  : « Tant que vous vivez, ce monde n’est qu’un monde d’illusions, vous riez, aimez, détestez. Vous dites que vous êtes heureux ou malheureux mais vous ignorez tout du bonheur ou du malheur ! »

Le titre donné par M.Deshimaru pour son ouvrage est « Identité et rencontre », il suggérait aussi « L’essence et les phénomènes s’interpénètrent. » Sokei Daichi (1290-1366) 大智祖継, maître éminent du 13è siècle du Zen Soto parle de « L’égalité absolue » – entre phénomènes et bouddhas. 
 
La source lumineuse - Zen Tchan Sekito

Le retour vers Shin Ku, le Vide Originel

Avec les premières strophes du Sandokai, M. Sekito Kisen invite à revenir vers Shin Ku 真空 , la source de l’esprit et à se séparer du monde des représentations et des fabrications de l’esprit. 
 
Nous rappelons que Sekito Kisen s’était positionné, par principe, comme l’école de la Non-existence, celle qui se sépare de toutes fabrications cérébrales – de l’esprit 虛 空 – pures illusions. Pour se définir, Sekito Kisen emploie cette célèbre expression Aucune pointe d’aiguille ne saurait percer ici ! ».

Nous percevons ici encore l’influence de Sengzhao dont l’un des traités s’intitule : « Il n’y a pas d’Authentique Vacuité ! »

 
Note: Ce symbole de l’aiguille sera repris tant par Eihei Dogen pour la rédaction du Zazen Shin – l’aiguille de zazen 坐禪箴 ( est à différencier de Shin , l’esprit, un homonyme) que par Sokei Daichi dans ses différents poèmes. Par ailleurs, dans le langage du bouddhisme, il est essentiel de distinguer les expressions:

虛空 (jap. Koku) l’univers de l’esprit creux et vidé de tout : représentations, conceptualisations, fabrications d’idées et d’intentions. Ce vide est lié à l’observation et à la conscience.

真空 (jap. Shin Ku) qui désigne l’Espace du Vide Originel – qui ne dépend de rien, d’aucune forme. Ce vide n’est pas dépendant des yeux phénoménaux et est à l’origine de l’énergie vitale, cosmique.

Keiho Shumitsu (780-841)  圭峰宗密, Kuei Feng ZongMi en chinois, contemporain de M. Sekito Kisen, s’est permis la question qui interroge, par sa grande pertinence, au sujet de l’apparente utopie, quand il s’agit de l’humain et du phénoménal : « Le principe de non-existence de toutes choses pourrait être vu comme une Grande Vérité mais alors, il ne faudrait que rien ne puisse percer cette Vacuité Absolue – non le Shin Ku originel -, même pas la pointe d’une aiguille, même pas la pointe d’un cheveu, même pas ma pensée à propos la non-existence qui est elle-même Ku, vide de substance.
 
Autrement dit : la place du je-moi, même instantanée, ne peut être regardée, est-ce possible ?« .
 

Sokei Daichi composera ce poème quelques 500 ans plus tard, il  y précisera l’idée de Sekito et invoquera le développement de l’école Soto au Japon. Ce faisant, il empêche toute confusion et abolit toute idée qui invoquerait un quelconque chemin du néant ou du nihilisme.

Le goût héréditaire du Zen soto a été transmis par la lignée orthodoxe.
L’aiguille d’or a été pénétrée dans l’obscurité par la pointe du fil.
Depuis lors, l’herbe face au mont Yoko,
Les plantes spirituelles sur toute la terre sont aussi chaudes que la fumée.

Sokei Daichi (1290-1366)

Le Dalaï Lama fait un flagrant constat : « Il y a deux jours où je ne peux rien, demain et hier ! » Shakyamuni ira encore plus loin : « Vous vivez le temps d’une respiration ! » Qu’est-ce-qu’une vie rythmée au temps de la respiration ? Est-ce possible ? Est-ce souhaitable ? Nous courons tous sur les chemins de notre vie, défiant toutes les lois karmiques et dharmiques, voulant croire à un contrôle total du Je-Moi, de Mon-Esprit, Mon-Corps, Mon-cerveau, Mes pensées … Ce sont de grandes assertions illusoires auxquelles nous nous heurtons tous, surtout quand on est plus jeune ! Mais qui sont ces entités, l’Esprit, le Cerveau et le Corps, auxquels nous attribuons la qualité du Je-Moi ? Ces entités sont-elles dissociées ? Le cerveau peut-il être attribué à l’Esprit et le corps au Je-Moi, je posséderai alors un corps et un esprit ? Mais nous disons tous « J’ai mal et non mon cerveau a mal » mais, en réalité, qui de moi ou du cerveau est heureux ou malheureux ? Est-ce seulement un abus de langage ou il y anguille sous roche ? Pourrait-on accepter que les simples stimuli électriques soient à l’origine de nos perceptions du malheur et du bonheur ? Il suffirait donc de nous titiller pour nous mettre en marche et quelle serait donc la place des consciences ? 
 
Il-y-a-t-il conscience et non-conscience, car il n’y a pas de pure et authentique vacuité ?
 Au fur et à mesure, avec plus de maturité et d’expériences de vie, nous constaterons que nombres de choses perdues nous échappent constamment, même mon corps et mon esprit ne sont pas si facilement contrôlables par une forme que je nomme « Moi-Je ! ». À quelles conclusions pourrait-on arriver ?
 
Sandokai Neurosciences et Systèmes de Pensée

La question qui fait débat avec les neurosciences cognitives

M.Deshimaru avait souhaité écrire un livre sur le zen et les sciences, nous espérons y souscrire tant soit peu en nouant le parallélisme entre disciples des zens et neuroscientifiques. Ci-après, la réflexion de P. Hacker concernant les thèmes de l’esprit, du cerveau et finalement du je-moi si chers dans le bouddhisme et le zen Chan, d’hier comme d’aujourd’hui :

« Comment le matériel – notre corps – pourrait-il être à l’origine de l’immatériel – notre esprit ?
 
P.Hacker, Dialogues sur la pensée, l’esprit, le corps et la conscience, Ed.Agone, 2021.

Ci-après, quelques extraits des dialogues mis en scène par P. Hacker, dans le même ouvrage:

Richard : La chose est claire ! Avoir un esprit est comparable au fait d’avoir des aptitudes – non à celui d’avoir une maison ou une voiture. Faire quelque chose avec son esprit n’a rien à voir avec le fait de faire quelque chose avec un marteau, mais plutôt avec le fait de réaliser quelque chose grâce à ses talents.

Alan, neuroscientifique: Tout à fait. Nous ne pensons ni ne raisonnons avec rien – si ce n’est avec un crayon à la main.

Jill, philosophe d’à peine 30 ans : Nous faisons pourtant bien usage de notre esprit lorsque nous pensons.

Richard, philosophe oxonien du milieu du xxè siècle : Oui, mais pas comme nous utilisons nos jambes pour marcher.

Jill : Nous disons pourtant bel et bien : « Faites usage de votre esprit. »

Richard : Ce qui n’a rien à voir avec le fait de dire « Utilisez votre main gauche » mais plutôt avec « Réfléchissez ! »

 » Exactement. L’esprit n’est pas un organe éthéré, pas plus qu’il n’est un organe matériel.  » Alan, le neuroscientifique.


De la nature de l'esprit - L'interrogation des neurosciences

Nous continuons avec les extraits de l’ouvrage de P.Hacker:

Richard, le philosophe dit :  … Comme vous l’avez noté de façon évidente, nous nous représentons l’esprit comme une possession, comme quelque chose que nous avons ou possédons, car nous parlons d’avoir un esprit ou de perdre l’esprit.

Nous parlons du savoir – de la connaissance – comme de quelque chose que nous acquérons, que nous pouvons transmettre à quelqu’un et partager avec lui ou conserver par-devers nous.

Nous parlons de la mémoire comme d’un entrepôt dans lequel nous stockons l’information et conservons nos souvenirs .

Nous présentons la pensée sous forme d’un acte ou d’une activité, comme lorsque nous ordonnons à quelqu’un de penser et à tel autre d’interrompre le cours de ses pensées.

Franck, le neuroscientifique : En quoi est-ce intéressant ?
 
Richard : Eh bien, cette mythologie nous induit souvent en erreur. Elle constitue, pour ainsi dire, une forme d’iconographie linguistique et demande à être interprétée et comprise ! …
 
L’esprit ne peut pas bouger les mains. Il rend possible le mouvement des mains. Avoir un esprit est comparable au fait d’avoir des aptitudes
 
Pour sa part, Sekito parlera des fonctions et facultés identitaires du phénoménal dans le Sandokai.

Qu'est-ce-que la Voie ? Pour le zen CHAN

Un disciple posa la question suivante à Keiho Shumitsu:

« Qu’est-ce-que la Voie ? Il-y-a-t-il là quelque chose à pratiquer ? Faudrait-il pratiquer pour réaliser ?
 
La réalisation vient-elle de la pratique ou cela n’est point nécessaire, du fait qu’elle est immanente – et donc présente depuis les temps sans commencement – ? » – À noter que c’est également la question que Eihei Dogen (1200-1253)fondateur de l’école Soto japonaise posera quelques 500 années après, avant d’entamer son périple vers la Chine.
Keiho Shumitsu répond: 

« Ne ressentir aucune appréhension est la Voie. Éclairer l’illusion est la pratique. Même si la Voie est ronde et parfaite, de nombreuses illusions s’élèvent, causant peurs, souffrances et dépendances. Si toute illusion s’efface, la pratique de la Voie réussit. Il n’y a absolument rien d’autre à pratiquer.« 
Keiho Shumitsu affirma  également : « L’esprit est Bouddha. Bouddha est le
phénomène. Quand il est phénomène, cet esprit ne diminue pas, quand il est bouddha, cet esprit n’augmente pas. À la rencontre des phénomènes, cet esprit manifeste ses fonctions. À la disparition des phénomènes, cet esprit devient silencieux. »
Cependant, Bodhidharma dit : «  Si vous voyez l’illusion et que de plus, vous voulez casser l’illusion alors, vous êtes en pleine illusion ! » puis M. Deshimaru dit :
 
« La dernière illusion, qui demeure jusqu’à la mort, est le petit Ego, soi-même, aussi ayez le Grand Ego, l’ego Cosmique ! » Qui peut l’entendre ?