Biographies des maîtres du zen ChanLexique et Termes Clés du bouddhisme zen

60 – Sekito Kisen – Biographie – Échanges célèbres

L'enseignement oral essentiel de Sekito Kisen ou Shitou Xiquian ou Thach Dau Hy Thien

Rien ne saurait vous manquer

 

S’étant établi en 742 dans sa chaumière  au temple de Nanyue 南岳 situé sur le mont Heng de la province de Hunan, limitrophe du 江西 JiangXi – à l’est de la rivière -, un jour, Sekito Kisen monta sur l’estrade et prononça cet enseignement. Les maîtres du Chan, Sozan Honjaku Caoshan Benji et Dongshan LangJie ou Tozan Ryokai (807-869), fonderont un siècle plus tard l’école du Soto sur la base de ces oratoires et des écrits laissés: Le Sandokai et le Chant dans la chaumière. Tozan Ryokai rédigea le Traité sur le Relatif et l’Absolu, les cinq Go-I – skandhas.

Mon dharma a été transmis du bouddha qui m’a précédé. L’esprit, l’éveillé, l’être-né, l’homme ordinaire, l’illusionné … ce ne sont que des noms différents mais la substance est la même. Vous devez voir que la substance de l’esprit est au-delà de toutes perspectives et de tous regards; Danken ou la vue déterministe qui voit tout à partir de la non-existence, l’irréalité de toutes choses ;  Joken  ou la vue permanente qui voit que tout existe en vrai, Bouddha, Moi, le temps continu linéaire …

… La substance de toutes choses n’est ni propre ni sale. Elle est silencieuse, ronde, parfaite. Le vénérable Saint, de même que l’Humain Ordinaire se valent, leurs capacités sont incommensurables.

… Quittant les limites d’une conscience finie, les trois voies et les six chemins ne sont que de purs reflets apparaissant et disparaissant, ceci n’est pas différent de la lune dans l’eau, le reflet dans le miroir. Qui parle de vie et mort ? Vivant ceci, il ne vous manque rien, absolument rien.

* Danken : Voir que tout est illusoire sans aucun caractère de réalité. Littéralement Dan signifie Tranchant, Coupant, Arrêtée.

* Joken : Voir que tout existe, qu’il y a un temps continu (fil du temps), que toute chose est permanente. Littéralement, Jo signifier Permanente, Durable.

 

L’enseignement Chan fut classifié comme suit: 

  • Existence (tout existe, tout est réel, bouddha, moi, illusion)
  • Non Existence (rien n’existe de manière absolue car tout passe en un battement de ciel)
  • Existence et Non-Existence à la fois
  • Ni Existence ni Non-Existence (jap. Hi, aller au-delà de toute considération, de toutes vues).

Autre traduction possible du sino-vietnamien: Quittant l’esprit de la conscience – ne faisant pas appel à notre conscience limitée/biaisée -, les trois mondes (passé, présent, avenir) les six voies (des sens) ne sont que de purs reflets, telle la lune dans l’eau, l’ombre dans le miroir. Il n’y a plus ni naissance ni extinction. Sachant ceci, rien ne peut plus vous manquer.

 

 

Pas même un brin de poussière pas même la pointe la plus fine d'une aiguille - Sekito Kisen et la non-existence

L’enseignement de Sekito Kisen était répertorié par Keiho Shumitsu, grand historien et patriarche dans les deux lignées du Chan et du Kegon, dans la classe des « non-existentiels ». 

*Lecture de Reijo YB / NdT: L’enseignement du bouddhisme est subtil et les éléments de langage sont difficiles pour qui ne veut pas être biaisé par le superficiel / dogme, préjugé. « Non-existence » ne signifie pas que les milles choses n’existent pas en réalité mais qu’elles n’ont pas vocation à rester dans l’œil du cerveau qui passe instantanément. En résumé, aucune chose ne demeure à un point fixe ou demeure toujours à un point fixe du temps, l’instant précédent ne doit pas transmettre à l’instant suivant, ceci est la création du karma. HT Thich Thanh Tu nous dit que le karma se résume aux habitudes qui ont pris racine dans les temps sans commencement.

Dans le langage moderne, cela signifie que Sekito Kisen ne fait aucun commentaire face aux milles choses de la vie, milles événements du quotidien. Il « ne voit que du vide » . Il ne s’attache à rien et vit dans sa chaumière construite sur un bloc de pierre en forme de tête. C’est un radical de la « non-existence absolue », il n’y a ni saint ni forme ni illusion … on peut dire aussi que c’est tout est vu sous la perspective de l’équanimité absolue.

On se rappelle que Sekito Kisen fut impressionné par la phrase de Jo Hoshi (4ème siècle) « La sagesse est sans ego aussi tout est ego. » 

Yakusan Igen, héritier unique de Sekito Kisen, dit : « C’est comme planter des fleurs sur de la pierre ! »

Osho HT Thich Thong Phuong, de l’école zen Chan Truc Lâm du Vietnam, interroge « Quand nous proclamons que notre position est « la non-existence absolue » – ni Esprit ni Bouddha -, où mettrait-on une telle affirmation ? Puisqu’elle n’existe pas réellement en soi non plus …  » 

Il continue : « En revanche, quand nous proclamons que « tout existe« , bouddha, phénomène, moi, illusion, éveil … alors que toute forme manifestée se compose, apparait puis disparait en un battement de cils, de quelle vraie existence parlons nous ? «  

Note à propos de l’impermanence (non-permanence, qui ne dure pas) : les neurosciences estiment que le temps de propagation de l’influx nerveux dans le cerveau est de l’ordre des 10 puissance – 27 secondes. 10 ^-27 sec. Dans les sutras, Bouddha disait que le temps se mesurait en respirations ou en Ksana, unité élémentaire du temps, évaluée aujourd’hui à une fraction non perceptible de l’ordre des millièmes de seconde ?

 

Résumé Biographique de Sekito Kisen ou Shitou Xiquian ou Thạch Đầu Hi Thiên

Sekito Kisen (zh. shítóu xīqiān 石頭希遷, ja. sekitō kisen, 700-790, vn. Thạch Đầu Hi Thiên). Tout d’abord, une précision concernant le nom d’usage en Occident « Sekito ». Littéralement, Sekito signifie « Tête de Pierre », ce nom tire son origine du lieu* où Sekito s’était établi, il y avait installé une chaumière sur un grand bloc de pierre en forme de tête. En Asie, c’est le nom d’ordination « Kisen » qui sert de nom d’usage, en l’occurrence « Kisen », littéralement « l’Espoir du ciel / Ciel d’espérance ? *. »  Au Japon, la renommée de maître Sekiton Kisen est due à sa momie qui fut dérobée à la Chine par un japonais durant la guerre. Cependant, il apparaît aujourd’hui qu’il s’agirait d’une autre personne.

Dans la lignée du Zen Soto (ch. CaoDong), se succèdent Daikan Eno (capacité de sagess) -> Seigen Gyoshi (mont clair/pur) -> Sekito Kisen (tête de pierre ciel d’espérance) -> Yakusan Igen (mont de médecines) -> Ungan Donjo (rocher de nuage)

*Lieu de pratique de Sekito: Temple Nantai du Mont NanYue, province Hunan (Lac du Sud).

** Note: Interrogé sur l’objet de sa mission, M. Taisen Deshimaru, déclara qu’il est venu « Aider le Ciel ». Les commentaires de M.Taisen Deshimaru furent publiés par les éditions A.Z.I, il avait proposé deux titres différents pour le Sandokai : « Identité et Rencontre » ou « L’union de l’essence et des phénomènes. »

Sekito Kisen est l’unique disciple successeur de Seigen Gyoshi (660-740) qui est à l’origine des écoles Soto, Unmon, Hogen. Tozan Ryokai Actuellement, les écoles majeures sont le zen Soto et le zen Rinzaï. Concernant Sekito Kisen, on connaît 3 disciples proches, plusieurs conversations ont été consignées dans les livres d’histoire de l’époque.

  • Yakusan Igen (745-828), Yaoshan Weiyan 藥山惟儼, vn. Dược Sơn Duy Nghiễm
  • Tanka Tennen (739-824), Danxia Tianran, Yaoshan Weiyan 丹霞天然, vn. Đan Hà Thiên Nhiên
  • Tenno Dogo (738/748-807), Janhuang Daowu 天皇道悟, vn. Thiên Hoàng Đạo Ngộ

On raconte que durant la grossesse de M. Sekito Kisen, sa mère était végétarienne, ce qui expliquerait que son fils manifeste toujours une grande sérénité. Depuis son plus jeune âge, M. Sekito évitait de déranger, souriant, autonome, il ne démontrait guère de mécontentement. Selon les us et coutumes pratiquées à l’époque, les villageois des environs sacrifiaient périodiquement des bêtes pour divers rituels d’offrandes, les bêtes furent enfermées alors dans des enclos situés dans les tréfonds de la montagne. Révolté contre ces célébrations barbares, dès qu’il le peut, le jeune Sekito alla seul les relâcher, ceci lui valut l’attribution impériale du nom honorifique « Maître zen de la non-offrande ». Sekito avait rejoint très tôt la sangha d’Eno ou Hui-Neng (638-713), il y restera jusqu’à la mort de ce dernier, Sekito avait 13 ans. Il rejoindra Seigen Gyoshi qui l’avait envoyé chez Baso Doiisu mais il revint ensuite chez Seigen, l y séjourna quelques temps. 

Avec Baso Doitsu (709-788), le maître du Jiangxi – À L’Est de la rivière – , Sekito Kisen (700-790) règne sur la province voisine , le Hunan – Au Sud du Lac – . A l’époque, ces écoles incarnaient le Chan, un dialogue constant fut instauré, les disciples se consultaient mutuellement. Plus particulièrement, Baso et Kisen échangeaient très souvent leurs disciples, quand ils pensaient que leurs caractères correspondaient plutôt aux méthodes d’éducation de l’un ou l’autre. Ce fut le cas pour Yakusan Igen, le disciple successeur de Sekito Kisen.

Sekito est célèbre dans le zen pour sa position appelée « danken » , litt. le regard qui tranche radicalement – il n’existe aucune chose, ni moi, ni Esprit ni Bouddha – hi shin hi butsu – , ni illusion, ni éveil … 

Sekito caractérise lui-mêle son principe d’éducation par l’expression: « Rien ne traverse ici, pas même un grain de poussière, pas même la pointe d’une aiguille. » Quand à Yakusan Igen, il s’exprima ainsi : « Quand j’étais chez Sekito Kisen, cela est semblable à « un moustique qui tente de piquer un taureau de fer.« 

Le chapeau de bambou pour la pluie et le vêtement de paille apaisent et protègent l’esprit du voyageur. Entre la rivière et le lac, combien de fois sont-ils allés et venus. Il a fini de couper la canne à pêche de bambous, et il en a replanté d’autres. Dans l’intention de pêcher un dragon féroce, il fait descendre l’hameçon. Katsadu Wain, poème de Sokei Daichi (1290-1366), traduction de m. Taisen Deshimaru

À la naissance de Sekito Kisen en l’an 700, la célèbre impératrice Wu Zetian (624-705) venait juste de décéder, la Chine mettait à l’honneur tant le taoïsme que le bouddhisme. Mais en 842, la situation historique changea, une poursuite des bouddhistes fut ordonnées, les monastères furent détruits et l’administration incitait plutôt les religieux au mariage. En effet, leurs foyers sont alors soumis au paiement des impôts qui manquaient aux caisses de l’état.

 

Xiquian Sekito Kisen face à Seigen Gyoshi - Biographie de Sekito Kisen

D'où venez-vous ? La question de Hui-Neng Daikan Eno

Le shami (apprenti shamon) vint voir Seigen Gyoshi qui le questionna:

Seigen Gyoshi SG: D’où venez-vous ? (la grande question qui caractérisait l’école d’Eno (zh. Hui-Neng)

Sekito Kisen SK: De Sokei – du mont Sokei, en vn Tào Khê (lieu d’Eno)

SG: Qu’avez-vous amené avec vous ?

SK: Même si je n’étais pas arrivé au mont Sokei, je ne l’aurais pas perdu !

SG: Utilisez le à volonté, pourquoi se rendre à Sokei ?

SK: Si je ne m’étais pas déplacé jusqu’à Sokei, je n’aurais pas pu savoir que je ne pouvais pas le perdre.

Sekito Kisen questionna :

SK: Le grand maître de Sokei – Eno Hui-Neng – vous connait-il ?

SG: Et vous, vous me connaissez ?

SK: Je vous connais. Mais je ne peux vous connaître !

Seigen Gyoshi questionna « Qu’avez-vous donc amené avec vous ? – Même si je n’avais pas atteint le mont Sokei, je ne l’aurais pas perdu – comprendre : « Êtes-vous seulement un homme du monde phénoménal  ? »

Le shami Sekito Kisen avait brillamment passer son examen d’entrée avec cette réplique

 

Dialogue entre Qingyuan Xingsi ou Seigen Gyoshi (660-740) et Xiquian Sekito Kisen (700-790) - Biographie de Sekito Kisen

ll existerait une telle chose à Sokei ou dans les Cieux de l'Est

 

Un autre jour, Seigen Gyoshi questionna de nouveau le shami Sekito Kisen à propos de son origine. Comme Eno, son maître, Seigen initie la conversation toujours avec la même question:

Seigen Gyoshi SG: D’où venez-vous ? (la grande question qui caractérisait l’école d’Eno (zh. Hui-Neng)

Sekito Kisen SK: De Sokei (lieu d’Eno)

Seigen Gyoshi redresse le chasse-mouches – signifiant qu’il aborde un sujet du monde phénoménal

SG: À Sokei, il existerait une telle chose ?

SK: Il n’existe rien de tel ni à Sokei ni même dans les cieux de l’Est !

SG: Vous êtes déjà allé dans les cieux de l’Est ? 

SK : Si j’y étais allé alors je serai parvenu quelque part

Seigen n’est pas satisfait de la réponse, il dit :

SG: La réponse n’est pas encore correcte. Réessayez de nouveau ?

SK outré: Vous pouvez aussi m’aider ! Vous ne pouvez compter que sur moi, un pauvre shami – apprenti !

SG: Ce n’est pas que que je refuse mais je crains qu’agissant ainsi, je n’aurai pas de successeur dans le futur.

SG: Il y a de nombreux animaux à cornes mais une seule licorne suffit.

SK: Depuis combien de temps avez-vous quitté Sokei ?

SG: Je n’en sais rien. Mais c’est vous qui venez de quitter Sokei !

SK : Kisen (il parle à la 3ème personne) ne vient pas de Sokei. 

SG: Je connais le lieu où vous irez !

SK: Vous êtes un grand homme, ne discriminez pas, ne créez pas de rangs et de hiérarchies !

 

Dialogue entre Nanyue Huairang ou Nangaku Ejo (677-744) et Xiquian Sekito Kisen (700-790) - Biographie de Sekito Kisen

ll existerait une telle chose à Sokei ou dans les Cieux de l'Est

Un autre jour, Seigen Gyoshi demanda à Sekito Kisen d’amener une lettre au maître Nangaku Ejo (677-744) qui s’était établi dans la province voisine, au JiangXi, lit. Rivière de l’Est. 

Seigen Gyoshi SG: Allez porter cette lettre au maître Nangaku Ejo mais n’y séjournez pas trop longtemps, à votre retour, j’ai un marteau pour vous – comprendre le sceau de certification de l’esprit.

À peine arrivé sur les lieux, n’ayant pas présenté la lettre, il entame le dialogue avec Nangaku :

Sekito Kisen SK: Quand on ne vénère ni le Saint ni le Sacré – totalement irrévérencieux -, qu’est-ce-qui arrive ?

Nangaku Ejo NE: Pourquoi une question difficile qui atteint des Cieux? Ne voulez-vous pas redescendre avec une question plus simple ?

SK: Je préfère être damné pour toujours que de vénérer le moindre Saint !

Nangaku met fin à la conversation. Sekito Kisen revint auprès de Seigen Gyoshi.

SG: Vous êtes revenu très vite, avez-vous pu porter la lettre à Nangaku ? 

SK : Le message était resté coi. La lettre n’est pas parvenue non plus.

SG: Vous pouvez m’en dire plus ? 

SK relate les faits et le dialogue interrompu par Nangaku puis dit:

SK: A mon départ, vous aviez dit qu’il y a quelque chose qui m’attend au retour, puis-je le prendre  ?

SK allongea sa jambe en signe d’acquiescement. Sekito effectua une prosternation puis s’en alla. Sekito Kisen resta quelques années encore avec Seigen Gyoshi puis partit s’établit au mont Heng 衡 dans la chaîne de montagne 南岳 Nanyue, de la province Hunan – au sud du lac.