8 – SANDOKAI de Sekito Kisen B – Avant-Propos Oeuvre
Découvrir le Sandokai par Sekito Kisen - Un fondamental du bouddhisme Zen Soto
Au fur et à mesure de la finalisation du livre, il m’est arrivé d’échanger avec nombres de groupes de bouddhistes asiatiques et de groupes dits du zen occidental, il apparait clairement qu’idées, orgueils et préjugés obstruent depuis toujours, à l’Est comme à l’Ouest, au Sud et au Nord, chez les autres et chez moi-même. On se prononce toujours légèrement, tout en s’appuyant sur un esprit duel sans une vraie conscience, sans une participation réelle de ce qu’on pourrait appeler le Vrai Moi. Dans une vie phénoménale, on suit toujours l’ombre des temps immémoriaux, sans commencement. « S‘attacher aux phénomènes est cause d’illusion », dit le Sandokai. L‘Occident vindicatif, issu des mouvements des années 68 puis des années 80, est ravi de pouvoir saisir un nouveau sujet chaud de débat. Ce sujet s’avère attirant à bien des égards car il présente un aspect de l’Esprit et non un Esprit Religieux. Parler de l’Esprit est tout sauf « dirigé vers l’extérieur phénoménal », tel que Bodhidharma, le fondateur du zen Chan l’a énoncé au 6ème siècle. L’Esprit est un sujet respectueux que tous connaissent car bien sûr, tous avaient un esprit et savaient de quoi il s’agissait. Nul besoin d’aller au-delà … (attention ! j’ironise ). A l’inverse, certains groupes asiatiques se sont révélés très religieux, vénérant et adorant un dieu bouddha – pourtant homme – figuratif dans l’esprit, en effet, plongés dans toutes les difficultés induites par les guerres incessantes menées sur plusieurs fronts, politique, économique, conquête territoriale, pouvoir se reposer sur un bouddha se révèle une nécessité et pourtant « S’attacher au principe n’est toujours pas s’éveiller », dit le Sandokai. Dans les deux cas cités, il s’avère que nous nous confrontons toujours aux questions de production de l’esprit, de postures d’idées, d’esprit voilé.
À ces questions, la réponse a toujours été de « se retourner vers l’intérieur » mais l’esprit de l’homme tend toujours vers le monde coloré. Le monde de l’esprit vide et creux est difficile à appréhender, nos esprits sont paresseux aussi l’âne continuera de regarder le puits, tout en vivant dans le pré. L’âne perd–il son temps à regarder ? Chacun en décidera.
À l’inverse du méditant actuel, laïc ou bouddhiste ou spirituel qui pense souvent « bien connaître l’esprit » – lol:) , il en a un ! -, à l’époque de M. Sekito Kisen, interrogé sur le sujet de « Qu’est-ce que l’esprit ? », un shamon de l’école du sable répondit :
« L’eau est froide, la montagne est profonde ».
Comment un disciple de la Voie du zen pourrait-il cheminer dans la vie avec une telle réponse ? C’était le challenge des maîtres, shamon éducateurs ainsi que des centaines d’écoles, issues du Soshi zen, Samouraï zen, Nyorai zen, créées à cette époque dite d’âge d’or du zen, sous la dynastie des Tang (618-907). Les frontières géographiques actuelles et celles de l’époque n’ont pas tellement changé et l’esprit du grand magicien ancêtre continue son chemin de transmission éclair, d’Est en Ouest, du Sud au Nord, il prend l’avion ou pas.
Mais que véhicule-t-on d’esprit phénoménal à esprit phénoménal, d’esprit phénoménal au Vrai Esprit, du Vrai Esprit aux esprits phénoménaux ? Le Sandokai nous donne ses « breaking news ».
M. Sekito Kisen, tel le doigt qui, montrant la lune, désigne l’Esprit sous son aspect symbolique, la lumière qui n’a de cesse d’éclairer.
M. Sekito Kisen n’oublie pas la perspective fonctionnelle des Esprits Relatif et Absolu, dont chaque corps phénoménal est habité.
M. Sekito Kisen dira également que l’Esprit peut se contracter dans une pointe d’aiguille mais aussi embrasser l’univers quand il est en expansion. À chacun de réaliser la Voie sur laquelle il marche, qu’il le veuille ou non, qu’il connaisse ou pas. Comme il s’agit de la montagne profonde, l’esprit demeure secret, intime mais immuable, traversant nos vies et nos morts.
Nous devons cependant prendre garde aux objets qui occupent constamment l’Esprit, même nos idées à propos de l’Esprit ! Voulant découvrir l’Esprit, nous avons tendance à le réduire à une aiguille ou à un quelconque objet manufacturé dans notre cerveau transformé en usine.
L’Esprit réduit à un objet de la pensée – de surcroît la pensée d’une personne – pourrait-il s’avérer Esprit ?
Pour aider le lecteur occidental non familier avec la structuration imagée de l’écriture non phonétique de la Chine, un précis de terminologie est proposé, avec son codage visuel. En addition, des histoires zen, des mondo – séance de question-réponse -, des appels aux neuro-scientifiques comme aux philosophes de tous horizons ont été ajoutés, en tant que facilitateurs. On espère ainsi réduire ainsi l’écart de transmission à travers les différentes langues qui ont servi à véhiculer ces enseignements Chan. Cependant on pourrait dire que c’est pire que de lire du rabelaisien !
Outre M. Taisen Deshimaru et M. Sokei Daichi, du 13è siècle qui sont les référents de cette compilation, le développement de ce recueil d’enseignements s’est intensivement basé sur les enseignements du shamon HT TTPhuong, maître de l’école Chan nommée Trúc Lâm du Vietnam, lit. forêt de bambous. La force de ses écrits et prêches m’a encouragée à aller un peu plus de l’avant, ses enseignements, visibles et invisibles, m’ont particulièrement éclairée et accompagnée dans mon brouillard ordinaire.
On notera que le mot Kai 契, du titre San Do Kai, pourrait désigner un accord que d’antan, les contractuels déchiraient en deux, chacun conservait la moitié comme une preuve tangible du traité signé.M. Sekito Kisen mentionnerait alors un contrat intime signé Entre mon Vrai Esprit et mon Esprit Phénoménal et donc relatif, du quotidien ? Il y aurait alors Identitié et Rencontre …
En parallèle aux aphorismes zen, nous nous sommes appuyés sur les travaux de Keiho Shumitsu 圭峰宗密 (780-841) (zh. Kuei-Feng Tsong-Mi), premier historien d’envergure de l’époque Tang et patriarche dans les lignées bouddhiques du zen du Sud Heze et Kegon. Le maître a rédigé une œuvre magistrale intitulée Zengen Shozenshu 禅源諸詮集, litt. « Les origines du zen » , cette dernière comporte une centaine de volumes dont il ne nous reste, malheureusement que la préface 禅源諸詮集都序, Zengen Shozenshu Tojo, elle s’avère cependant suffisante dans le cadre de cet écrit.

Sandokai ou la Sagesse est Sans Connaissance
Dans le Sandokai, M. Sekito Kisen reprend les thèmes traités par Sojo (zh. Sengzhao) dans ses différents traités. Le sujet du troisième traité : « La sagesse est sans connaissance » ainsi que la correspondance avec Liu Yimin, disciple de la sangha du Kegon lui ont servi de base, tel que M. Deshimaru l’a signifié. Cette phrase « Le sage est sans connaissance aussi il n’ignore rien » constitue le socle de l’enseignement donné par M. Sekito Kisen, dans le Sandokai.
En effet, M. Sekito, comme le fit son prédécesseur Sengzhao, interroge à propos de la nature et substance de l’esprit Hannya d’un éventuel sage. Si tenté que le sage soit doté d’un tel esprit, serait-t-il distinct de l’esprit ordinaire ? Et de prime abord, il y aurait des êtres sages qui se distingueraient des êtres ordinaires, dans la pure et authentique vacuité ? En quoi cela consiste-t-il ? Il y a-t-il là une substance notable ?
En parallèle de son traité sur Le Sage et l’Esprit Hannya, M. Sekito proposera son enseignement aux sujets du temps, de l’espace, de la fonction des êtres manifestés – corps et forme – dans ce contexte sans nature propre et sans substance palpable. Il propose sa réponse aux traités de Sengzhao, aux enseignements de Vasubandhu qui avait initié la grande compilation du Maka Hannya Shingyo.
Les impossibles Fuka Toku Fuka Setsu
Dans le sutra Maka Hannya Shingyo qui est le chant emblématique de toutes les écoles du zen, on trouve toujours les négations telles que Fu Ka 不可 – pas de possibilité, pas de capacité. Contrairement à l’occidental qui procède généralement par assertion, l’oriental s’exprime par la négation car il est impossible de connaître la nature propre et unique d’une chose. On ne saurait énumérer de façon exhaustive les qualités d’une chose – Dignaga (480-540), maître indien de la logique, énonce qu’on ne sait pas ce qu’est exactement un cheval, on peut seulement le différencier de l’âne.
Il a interrogé en profondeur à propos des sources de la connaissance, d’où connait-on quelque chose ? C’est aussi un des sujets traités par les neurosciences cognitives d’aujourd’hui.
M. Sekito déroge ici à cette règle en nommant et qualifiant l’esprit originel vers lequel les disciples devraient revenir afin de réaliser la voie du bouddha.
Sekito Kisen détermine ici le code de la loi du Dharma – terme de M. Deshimaru – en ce sens que M.Sekito Kisen y transcrit l’accord entre l’être phénoménal et son être éveillé – sa propre nature substantielle, le corps et l’esprit d’éveil dits Du Bouddha, non figuratif, non né et conceptualisé – une non production de l’esprit. M. Sekito enseigne : « Vos pieds marchent sur la Voie, comprenez le si vous voulez la réaliser ».
Le maître nous décrypte ici le principe des lois du Dharma, du karma phénoménal mais également les réalités de l’instant absolu où se réunissent les conditions de manifestation du matériel.
A l’image des neurosciences d’aujourd’hui et des présocratiques grecs, les poèmes du Sandokai de Sekito Kisen (700-790) 石頭希遷 affirment tout en interrogeant, sur l’identité du je-moi – et non de l’ego -, la nature de l’esprit, la substance humaine : » Je suis. Mais qu’est-ce qu’un je-moi, qu’est-ce que mon esprit, qu’est-ce que mon cerveau, mon corps et où se trouveraient-ils ? » Vieux comme le monde, ces questionnements trouveront de subtils éclairages auprès du Nyorai zen comme du Soshi zen (cf. Annexe Les schismes au temps du zen Chan) respectivement le zen de Shakyamuni et le zen des patriarches du Chan. En parallèle et filigrane, on exposera les questions et retours d’expérience des neuroscientifiques dont les travaux sur l’esprit, la cognition, le cérébral nous ont fait avancé depuis quelques décennies.
Nos sources de connaissance dans le Zen Chan
Qu’est-ce-qui pourrait exister dans le Shin Ku, litt. authentique vacuité originelle et comment y retourner avec notre cerveau, toujours empli d’illusions, de préjugés, d’idées clouées et pré-implantées dans le cerveau, fut le questionnement des Chan, à l’échelle de la cour du Nord, des guerriers et paysans du Sud, de la population des bas-fonds de l’époque.
Considérant Shin Ku, Daikan Eno, le 6ème patriarche use, abuse encore et toujours de la même question, au début et tout au long des séjours des disciples : « D’où venez vous ? »
Les neurosciences cognitives d’aujourd’hui s’enlisent également dans les biais cognitifs qui emprisonnent l’esprit dans le subjectif inconscient. Mais l’être n’est-il pas toujours singulier ?
Le bouddhisme dit Mu Sho Toku 無所得 – pas d’obtention propre – personnelle – et Shin Fuka Toku 心不可 得 – impossibilité d’atteindre l’esprit – !Les maîtres Chan disent aussi Fuka Setsu 不 可 說 – impossibilité de discourir !Taisen Deshimaru : « Tant que vous vivez, ce monde n’est qu’un monde d’illusions, vous riez, aimez, détestez. Vous dites que vous êtes heureux ou malheureux mais vous ignorez tout du bonheur ou du malheur ! »

Le retour vers Shin Ku, le Vide Originel
Nous percevons ici encore l’influence de Sengzhao dont l’un des traités s’intitule : « Il n’y a pas d’Authentique Vacuité ! »
虛空 (jap. Koku) l’univers de l’esprit creux et vidé de tout : représentations, conceptualisations, fabrications d’idées et d’intentions. Ce vide est lié à l’observation et à la conscience.
真空 (jap. Shin Ku) qui désigne l’Espace du Vide Originel – qui ne dépend de rien, d’aucune forme. Ce vide n’est pas dépendant des yeux phénoménaux et est à l’origine de l’énergie vitale, cosmique.
Sokei Daichi composera ce poème quelques 500 ans plus tard, il y précisera l’idée de Sekito et invoquera le développement de l’école Soto au Japon. Ce faisant, il empêche toute confusion et abolit toute idée qui invoquerait un quelconque chemin du néant ou du nihilisme.
Le goût héréditaire du Zen soto a été transmis par la lignée orthodoxe.
L’aiguille d’or a été pénétrée dans l’obscurité par la pointe du fil.
Depuis lors, l’herbe face au mont Yoko,
Les plantes spirituelles sur toute la terre sont aussi chaudes que la fumée.Sokei Daichi (1290-1366)
Il-y-a-t-il conscience et non-conscience, car il n’y a pas de pure et authentique vacuité ?

La question qui fait débat avec les neurosciences cognitives
M.Deshimaru avait souhaité écrire un livre sur le zen et les sciences, nous espérons y souscrire tant soit peu en nouant le parallélisme entre disciples des zens et neuroscientifiques. Ci-après, la réflexion de P. Hacker concernant les thèmes de l’esprit, du cerveau et finalement du je-moi si chers dans le bouddhisme et le zen Chan, d’hier comme d’aujourd’hui :
« Comment le matériel – notre corps – pourrait-il être à l’origine de l’immatériel – notre esprit ?P.Hacker, Dialogues sur la pensée, l’esprit, le corps et la conscience, Ed.Agone, 2021.
Ci-après, quelques extraits des dialogues mis en scène par P. Hacker, dans le même ouvrage:
Richard : La chose est claire ! Avoir un esprit est comparable au fait d’avoir des aptitudes – non à celui d’avoir une maison ou une voiture. Faire quelque chose avec son esprit n’a rien à voir avec le fait de faire quelque chose avec un marteau, mais plutôt avec le fait de réaliser quelque chose grâce à ses talents.
Alan, neuroscientifique: Tout à fait. Nous ne pensons ni ne raisonnons avec rien – si ce n’est avec un crayon à la main.
Jill, philosophe d’à peine 30 ans : Nous faisons pourtant bien usage de notre esprit lorsque nous pensons.
Richard, philosophe oxonien du milieu du xxè siècle : Oui, mais pas comme nous utilisons nos jambes pour marcher.
Jill : Nous disons pourtant bel et bien : « Faites usage de votre esprit. »
Richard : Ce qui n’a rien à voir avec le fait de dire « Utilisez votre main gauche » mais plutôt avec « Réfléchissez ! »
» Exactement. L’esprit n’est pas un organe éthéré, pas plus qu’il n’est un organe matériel. » Alan, le neuroscientifique.
De la nature de l'esprit - L'interrogation des neurosciences
Nous continuons avec les extraits de l’ouvrage de P.Hacker:
Richard, le philosophe dit : … Comme vous l’avez noté de façon évidente, nous nous représentons l’esprit comme une possession, comme quelque chose que nous avons ou possédons, car nous parlons d’avoir un esprit ou de perdre l’esprit.
… Nous parlons du savoir – de la connaissance – comme de quelque chose que nous acquérons, que nous pouvons transmettre à quelqu’un et partager avec lui ou conserver par-devers nous.
… Nous parlons de la mémoire comme d’un entrepôt dans lequel nous stockons l’information et conservons nos souvenirs .
… Nous présentons la pensée sous forme d’un acte ou d’une activité, comme lorsque nous ordonnons à quelqu’un de penser et à tel autre d’interrompre le cours de ses pensées.
Richard : Eh bien, cette mythologie nous induit souvent en erreur. Elle constitue, pour ainsi dire, une forme d’iconographie linguistique et demande à être interprétée et comprise ! …… L’esprit ne peut pas bouger les mains. Il rend possible le mouvement des mains. Avoir un esprit est comparable au fait d’avoir des aptitudes …Pour sa part, Sekito parlera des fonctions et facultés identitaires du phénoménal dans le Sandokai.
Qu'est-ce-que la Voie ? Pour le zen CHAN
Un disciple posa la question suivante à Keiho Shumitsu:
« Qu’est-ce-que la Voie ? Il-y-a-t-il là quelque chose à pratiquer ? Faudrait-il pratiquer pour réaliser ?La réalisation vient-elle de la pratique ou cela n’est point nécessaire, du fait qu’elle est immanente – et donc présente depuis les temps sans commencement – ? » – À noter que c’est également la question que Eihei Dogen (1200-1253), fondateur de l’école Soto japonaise posera quelques 500 années après, avant d’entamer son périple vers la Chine.
« Ne ressentir aucune appréhension est la Voie. Éclairer l’illusion est la pratique. Même si la Voie est ronde et parfaite, de nombreuses illusions s’élèvent, causant peurs, souffrances et dépendances. Si toute illusion s’efface, la pratique de la Voie réussit. Il n’y a absolument rien d’autre à pratiquer.«
Keiho Shumitsu affirma également : « L’esprit est Bouddha. Bouddha est le
phénomène. Quand il est phénomène, cet esprit ne diminue pas, quand il est bouddha, cet esprit n’augmente pas. À la rencontre des phénomènes, cet esprit manifeste ses fonctions. À la disparition des phénomènes, cet esprit devient silencieux. »
« La dernière illusion, qui demeure jusqu’à la mort, est le petit Ego, soi-même, aussi ayez le Grand Ego, l’ego Cosmique ! » Qui peut l’entendre ?